Le cinéma des premiers temps. Le cinéma du Front populaire. Les Films noirs à l'époque du Maccarthysme. Le cinéma d'animation japonais.
Le cinéma de la Grande Guerre. Le cinéma au Québec.
Voir aussi mes deux autres blog ci-dessous : Memories of Cinéma et Expositions/Exhibitions
Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
En contrepoint du cours sur le cinéma du Front populaire quelques mots sur le film de Marcel Carné dont la version rénovée sera présentée au Ciné Lumière de l'IFRU (Londres) du 21 au 25 octobre (et le 30 octobre).
Quelques mots sur Le
Jour se lève de Marcel Carné (1939)
Le Jour se lève (bande annonce officielle. Version restaurée).
Le film : Le Jour se lève s’inscrit dans une période où l’Europe sombre peu à
peu dans la violence, où la guerre menace, et où les illusions du Front
populaire se sont envolées.
Marcel Carné semble emprisonner dans son
film, le pessimisme de ses contemporains.
Le film sort en juin 1939, et peut même être
présenté à la Mostra de Venise, quelques semaines avant le début de la Seconde
Guerre mondiale. En 2014, il est présenté pour la première fois depuis 1939, dans sa
version intégrale restaurée. Il avait en effet été censuré par le gouvernement de
Vichy, dont la morale réprouvait la scène où Arletty est nue dans sa douche. Les copies diffusées après la guerre avaient conservé cette version censurée.
C’est l’un des films le plus emblématique du
« réalisme poétique » français. Si de cette période de l’œuvre de
Carné, on connaît mieux Hôtel du Nord
ou Quai des Brumes (1938), Le Jour se lève fait également partie
des chefs d’œuvre du cinéma français des années trente.
Le réalisateur : Refusant de devenir
ébéniste, comme son père, Marcel Carné se tourne d’abord vers la photographie,
puis s’oriente vers le cinéma (critique et assistant réalisateur de Jacques
Feyder de René Clair etc.). A la fin des années trente, il a réalisé 4 courts
métrages et 4 longs (le premier, Jenny,
datant de 1936).
Parmi l’équipe du film :
Le réalisme poétique tient beaucoup aux
décors d’Alexandre Trauner, artiste d’origine hongroise qui en 1928 a fui le
régime fascisant d’Horthy et avec qui Marcel Carné tourne depuis 1937 (Drôle de drame). C’est lui qui fait
construire un immeuble de 5 étages dans les studios de Boulogne Billancourt où
est tourné le film (de février à mai 1939). Carné, quant à lui, enferme encore
plus son héros (Jean Gabin), qui a trouvé refuge dans l’immeuble, en exigeant
que sa chambre ait 4 murs et non 3 (plans circulaires).
Et quand on parle de poésie, il faut
évidemment citer les dialogues et le scénario de Jacques Prévert, dont l’engagement
politique transparaît dans cette histoire ancrée dans un contexte ouvrier et marquée
par les inégalités sociales.
Enfin, le film ne serait pas ce qu’il est
sans la musique de Maurice Jaubert qui a aussi travaillé avec Jean Vigo, Jean
Renoir et qui travaille avec Carné depuis 1937. Tué au début de la Seconde Guerre mondiale, c’est sa dernière
œuvre, même si ses partitions seront utilisées par François Truffaut pour 4 de
ses longs métrages (Adèle H, la Chambre
verte, L’argent de poche, L’Homme qui aimait les femmes).
Les acteurs : Jean Gabin est alors la
grande star du cinéma français. En le voyant, on pense aux personnages joués par Marlon
Brando ou à celui de Van Heflin dans The
Prowler de Joseph Losey. Il figure l’idéal type du héros désabusé des films
du réalisme poétique, avec Arletty, son alter ego féminin. La gouaille
habituelle de l’actrice est cependant ici nuancée par de très lourds silences.
Plus on s'approche de la guerre, plus le réalisme poétique se fait dépressif.
Autres faits sur le film : Un remake
(The Long night) a été tourné en 1947 par Anatole Litvak, avec un happy end hollywoodien...
A la médiathèque de l'IFRU (Londres) :
Vous pouvez lire : Michel Pérez, Les films de Marcel Carné, Ramsay, 1994
Vous pouvez écouter : Maurice Jaubert, Les musiques de film de Marcel Carné (CD).
En ligne notamment :
- Un site sur Marcel Carné et une page sur le film avec une iconographie abondante :
Le film qui sera présenté dans sa version rénovée le 26 octobre 2014 à l'Institut français du Royaume-Uni lors d'un Ciné-concert accompagné par Karol Beffa, apparaît comme
une des œuvres majeures du cinéaste français Abel Gance (1889-1981). Rapidement
devenu un mythe, avec le Napoléon de
1927, il fait partie du panthéon du cinéma français muet.
Il
faut cependant savoir qu’il y a eu deux J’accuse.
Le premier, dont l’idée naît dès 1916, sort sur
les écrans en avril 1919, l’année de la victoire. Le second film, qui évoque le
héros vingt ans après, est tourné en 1937 et sort en 1938 dans un contexte
radicalement différent.
Présenté
comme un réquisitoire contre la guerre, le J’accuse
de 19 est un hommage aux soldats, un témoignage de reconnaissance envers les
souffrances endurées pendant 5 ans. Gance, qui n’a pas 25 ans au début de la
guerre, n’a pas combattu (il a rejoint très peu de temps le service
photographique aux armées en 1915). En résonnance avec l’intense processus de
commémoration patriotique de 1919, le film est donc «un monument
cinématographique érigé à la mémoire de ceux qui sont morts pour nous. » (Affiche
publicitaire). Mais ce n’est pas complètement un film pacifiste, au sens où
aucune guerre ne trouverait de justification possible, quelle qu'elle soit, même si Abel Gance le
présente comme un réquisitoire contre la guerre, et qu'il va être ainsi perçu par ses contemporains.
Pour mieux comprendre l’esprit du J’accuse de 1919, il faut aujourd’hui le
comparer à celui de 1938. On peut ainsi mettre en parallèle les deux scènes
finales de la résurrection des morts dont la signification est radicalement
différente (cf. le cours sur La Grande Guerre au cinéma pour les extraits) : En 1918, les soldats français « se
réveillent » et vérifient que leur sacrifice n’a pas été vain (on va
ériger pour eux des monuments aux morts). 20 ans plus tard, les morts (certains
sont d’ailleurs allemands !) vont sortir de leur tombe pour
effrayer les vivants, pour tenter d’empêcher une nouvelle guerre. Pour cela,
Gance utilise des « gueules cassées »qui sont là pour prouver la monstruosité et l’absence de sens de toute
forme de guerre. Avec un quadruple procédé de surimpression, sa marche de plus
de 50 « gueules cassées » impressionne aujourd’hui encore.
J'accuse, bande annonce pour la diffusion Salle Pleyel le 8/11/2014 (@Lobster films).
Mais
revenons, au premier J’Accuse et à
ses origines, celles de la parution en feuilleton du texte d’Henri Barbusse, Le Feu, journal d’une escouade, dont la représentation actuelle doit beaucoup à son Goncourt obtenu en 1917 et à l'engagement ultérieur de l'écrivain aux côtés des communistes. Gance veut
réaliser une grande œuvre humanitaire. Il va aussi se servir de l’expérience de
Blaise Cendrars, son assistant, qui a perdu un bras (Cf. La Main coupée).
Cependant,
de nombreux passages du film témoignent d’un système de représentations
patriotiques. Ainsi les références au chef gaulois résistant à l’invasion
étrangère est-il ouvertement cocardier (Gance évoquera ensuite la pression de
la censure de guerre).
En
fait, on retrouve même chez lui l’idée largement partagée en France d’une
guerre défensive pour sauver la « civilisation française » menacée
par la « barbarie allemande ». Une scène du scénario (dont on ne sait
pas si elle a été tournée) met en accusation l’Allemagne sous les traits d’un
Hussard présenté devant un jugement (qui semble divin), à qui on reproche la
destruction de la cathédrale de Reims, le morts civils du Lusitania, les bombardements de villes, les violations des
conventions internationales et… « les mains coupées des petites
filles belges ».
Quant à la scène finale déjà évoquée, si
elle s’oppose bien à l’annonce enthousiaste de la mobilisation du début du
film, elle témoigne surtout (selon l’historien Laurent Véray) du sentiment de culpabilité
ressenti par ceux qui n’ont pas combattu tout en ayant perçu l’horreur du
conflit. Albert Gance mélange ainsi des valeurs nationales (le sacrifice pour
défendre la patrie dont il faut se souvenir à jamais) et chrétiennes (les
Villageois s’agenouillant pour prier).
Ce texte est
fondé avant tout sur l’ouvrage de Laurent Véray, La
Grande Guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire, Ramsay cinéma, 2008.
Parmi les
ouvrages disponibles à la médiathèque de l'IFRU à Londres :
- King Norman, Abel Gance, a politics of spectacle,
British Film Institute, 1984. (791.437 GAN).
- Jeanne René,
Abel Gance, Seghers, 1963 (791.437 GAN).
- Henri
Barbusse, Le Feu, Journal d’une escouade,
Gallimard, 1916. (in François Rivière, Les Grands Romans de la Guerre 14-18,
Coll. Omnibus, 1994 (944.081
4 GUE).
- Blaise
Cendrars, La Main coupée, Gallimard, 1946 (écrit à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, IFRU : Edition Folio 2008 (LA/CEN). En ligne : - Un passionnant article de Laurent Véray dans la revue 1895 (Laurent Véray, « Abel Gance, cinéaste à l’œuvre cicatricielle »,1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze[En ligne], 31 | 2000, mis en ligne le 06 mars 2006, consulté le 15 octobre 2014.) http://1895.revues.org/54 - U n court article intéressant du ciné club de Caen (sur la production et la réception à sa sortie) : http://www.cineclubdecaen.com/realisat/gance/jaccuse.htm - Un article stimulant du très bon site critikat : http://www.critikat.com/panorama/analyse/j-accuse.html
- Un dossier du CNDP sur les deux J'accuse, qui parle davantage de celui de 1938, sans faire vraiment la différence entre les deux versions.
Pour faire simple, les "films noirs" rassemblent une série de films tournés pour la plupart avec peu de moyens entre la fin de la guerre et la fin des années cinquante aux Etats-Unis.
Considérés à leur sortie comme des films mineurs, souvent inspirés des romans noirs (Chandler, James M. Cain), très souvent dirigés par des réalisateurs exilés aux Etats-Unis dans les années trente ou quarante, les films noirs sont aussi marqués par un éclairage contrasté, (en noir et blanc le plus souvent), où l’inévitable personnage de looser se débat face à son destin, accompagné ou non d’une femme fatale, et parfois d’un privé (qui peut aussi être le héros et un looser).
Ils filment le meurtre, la vengeance, l’infidélité, la trahison.
Tous ses films ont par ailleurs été confrontés à un double-le défi, celui du code Hays et celui du Maccarthysme (à partir de la fin des années quarante jusqu'au milieu des années cinquante pour ce dernier).
Cependant, du fait de sa variété formelle, le film noir n’est pas considéré comme un genre au même titre que le western ou la comédie musicale, et ce n’est pas non plus une plateforme théorique.
Il n’a pas non plus été un mouvement artistique fédérateur comme le néoréalisme italien ou la Nouvelle vague en France.
Il ne pouvait pas l’être, tant son histoire est marquée par celle de la période avec deux éléments incontournables aux Etats-Unis :
- L’essor de la télévision et la réaction des grands studios (nouvelles techniques comme la couleur, l’écran large, le relief, et l’essor des films d’évasion – on privilégie l’adaptation littéraire, la reconstitution historique, la comédie musicale). - Le maccarthysme lié à la guerre froide.
En effet, à la fin des années quarante et le début des années cinquante, dans un contexte international de « guerre froide » qui opposa l’URSS aux États-Unis, une « chasse aux sorcières », ou une « peur des Rouges » tournée notamment contre les artistes communistes ou supposés comme tels, a bouleversé le cinéma américain. La période la plus dure du Maccarthysme est liée à l’obsession anticommuniste du sénateur du même nom. Elle se termine donc en 1954, quand le Congrès américain réagit enfin contre les excès de Joseph McCarthy en le désavouant.
Pour autant à Hollywood, la « chasse aux sorcières » n’a pas été le fait du sénateur, mais celui de la « Commission des activités antiaméricaines » (HUAC) créée dès 1938, ainsi que des grands studios eux-mêmes.
Problématique : dans quelle mesure le bouleversement induit par la Maccarthysme a-t-il modifié le cinéma américain (à travers l’exemple de The Prowler de Joseph Losey).
En effet, Hollywood a été profondément bouleversé par le Maccarthysme. Des films n’ont pu voir le jour, des carrières ont été brisées (I), mais la répression maccarthyste a aussi favorisé l’approfondissement formel du film noir (II).
I. La chasse aux sorcières à Hollywood :
1. Les origines (années trente – années quarante) :
a) Les années trente et le début des années quarante : - Dans les années trente, fort courant progressiste à Hollywood (crise économique et sociale, antifascisme). Intellectuels "libéraux" (au sens américain), en particulier parmi les scénaristes. :
En 1938, la Chambre des représentants dispose désormais d’une Commission sur les Activités anti-américaines (House Un-American Activities Committee – HUAC). Permanente en 1946 jusqu'en 1975 (plus de crédits).
En 1944, est créée la Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals, une association dont l’objectif est l’ordre moral et l’autocensure.
b. Le tournant de 1946-1947 :
En 1946, une commission temporaire est lancée par le démocrate Harry Truman (qui veut paraître intransigeant) pour contrôler les membres de l’administration américaine. Le FBI (dirigé par J. Edgar Hoower de 1924 à 1972 !) assume un rôle essentiel dans ce contrôle. Serment de loyauté, morale et appartenance politique surveillée. Dès 1946, la chasse aux sorcières a bien commencé et c'est le pouvoir exécutif qui l'a ouverte.
2. Hollywood et la chasse aux sorcières (1947-1954) :
a) Les dix d’Hollywood :
En 1947, cette chasse aux sorcières touche de plein fouet Hollywood par le biais de l’HUAC. Des auditions spectacles de témoins sont organisées (délation encouragée) en octobre-novembre 1947. Des témoignages "amicaux" entendus, puis les "19 d'Hollywood" (11 finalement, appelés les 10 d'Hollywood)) sont entendus le 30 octobre. Refusant de répondre (1er amendement), ils sont condamnés pour outrage au Congrès.
Les Dix d'Hollywood en 1947 (pendant et après les auditions).
Les "10 d'Hollywood" : Herbert BIBERMAN producteur et réalisateur.
Lester COLE scénariste.
Edward DMYTRYK réalisateur.
Ring LARDNER Jr scénariste.
John Howard LAWSON scénariste. Responsable de la Screen Writers Guild.
Albert MATZ scénariste.
Samuel ORNITZ scénariste.
Adrian SCOTT réalisateur et scénariste.
Dalton TRUMBO réalisateur et scénariste, et Président de l’Association Nationale des Écrivains.
Alvah BESSIE scénariste.
Gary Cooper, Ronald Reagan (témoin "amical") et d'autres témoins amicaux lors de leur audition à l'HUAC en 1947
Manifestation pour défendre le Premier amendement, avec en tête de cortège Lauren Bacall et Humphrey Bogart (1947)
Dès 1947, cette attaque provoque cependant des réactions courageuses du Comité pour le 1° Amendement. Mais sa portée est limitée.
John Garfield qui meurt d'une crise cardiaque peu de temps après avoir été entendu par la commission.
- Résister plus ou moins au grand jour :
+ Travailler illégalement, travailler autrement : exemples de Jules Dassin, Paul ROBESON, John GARFIELD et Donald Trumbo
+ Résister courageusement : All the King's Men de Robert Rossen (1949).
A l'exemple du cinéma, tous les arts et médias, théâtre, littérature, télévision, radio, presse furent touchés par le phénomène, licenciant à tour de bras après des pseudo-enquêtes de moralité et de loyauté.
Comment la déjouer ?
Influence d'Assurance sur la mort (Billy Wilder, 1944). A leur sortie de prison, ils se retrouvent sans emploi ! Black-listés par les studios et la MPAA (réunion du 25 novembre 1947 au Waldorf Astoria).
En 1954 la Liste noire comptait encore 324 noms Elle exista jusqu’à la fin des années 1960.
Des centaines de techniciens, d’artistes se retrouvent donc du jour à l’autre sans travail, sans raison officielle parfois seulement parce qu’on les soupçonnait d’avoir eu des amis communistes.
b). Le rôle de McCarthy :
Le 9 février 1950, Joseph McCarthy, sénateur républicain du Wisconsin, dénonce la mainmise des communistes sur le département d'État. Il s’attaque au président Truman qui est démocrate. Des preuves, il n'en a pas. Il prêche la croisade, accentue un traumatisme et tâche d'en profiter pour favoriser sa carrière politique. Il s’attaque à l’administration américaine puis aux milieux scientifiques (bombe) et à Hollywood (liste noire). 1950, c'est aussi le début de l'Affaire Rosenberg. Le climat est hystérique.
c) Les conséquences à Hollywood et la montée en puissance de Mccarthy :
Les conséquences à Hollywood sont désastreuses. Elle vont laisser une vraie cicatrice psychologique dans toute l'industrie.
Une deuxième série d’auditions débute en mars 1951.
Un rituel qui fait fi de la tradition démocratique américaine est mis en place durant la première audition (l'aveu est suivi d'une délation "forcée").
En fait, les artistes incriminés se retrouvent face à trois choix : résister, dénoncer leurs pairs pour se disculper ou s'exiler. Certains vont en mourir.
Trailer de All The King's Men de Robert Rossen sur ce qui menace la démocratie. - L'exil : A Hollywood, les plus grands réalisateurs sont touchés Comme Charlie Chaplin. Jules Dassin, Joseph Losey, ou Orson Welles, John Berry, Ben Hecht, John Berry, ou Cyril Enfield. - La délation : des artistes connus vont dénoncer une quinzaine (Elia Kazan), voire des centaines de personnes ! La délation est presque imposée, les noms sont déjà connus. Elle se transforme en instrument de défense. Pour se disculper, on donne des noms (Dmytryk et Kazan). c) Des films anticommunistes : Les « chasseurs de sorcières », de leur côté, produisent des films anticommunistes utilisant notamment la science-fiction qui est alors en plein boom (phobie du « non-américain » dans lequel on reconnaît souvent le visage d’un communiste). Les anticommunistes ont aussi à leurs côtés le héros américain par excellence, John Wayne.
Une trentaine de films de propagande anticommuniste (relativement peu en fait) sortent entre la fin des années quarante et la fin des années cinquante. Ainsi, I was a communist for the FBI (Gordon Douglas, 1951) qui évoque l'histoire d'un agent du FBI infiltré au parti communiste qui empêche un complot communiste contre les Etats-Unis.
3. Les ripostes et la fin du Mccarthysme :
Quelques réalisateurs courageux osent résister. Ainsi, So Young So Bad (1950), condamne l'univers carcéral américain.
En 1951 sort sur les écrans américains, On murmure dans la ville de Joseph L. Mankiewicz. En 1953, des voix s’élèvent à nouveau, en dehors d’Hollywood, pour dénoncer le caractère antidémocratique de la commission McCarthy, notamment celle d’Einstein. Arthur Miller dénonce aussi efficacement l’hystérie dans sa pièce Les sorcières de Salem.
Après s’en être pris au général Marshall, McCarthy va vraiment trop loin. En effet, en 1954, il s'en prend à l'armée tout entière, menaçant directement les fondements de la société politique. Les caméras de la télévision font découvrir quel l'homme odieux qu'il peut être (Edward R. Murrow avec son émission See It Now).
Ses amis républicains le lâchent. Il est écarté de la politique et meurt dans l'oubli, alcoolique, en 1957.
Son discrédit met un terme à l’hystérie anticommuniste, à Hollywood comme ailleurs.
Plusieurs centaines de personnes ont été finalement touchées à Hollywood seulement. Plus généralement, des milliers d’employés, des ouvriers, des enseignants ont perdu leur emploi durant cette période.
Il est à noter que jamais le parti communiste n’a jamais été interdit aux Etats-Unis à cette époque.
II. Le film noir pendant la période du Maccarthysme (The Prowler de Joseph Losey, 1951).
1.Une période du film noir marquée par le Maccarthysme et le code Hays :
En fait, le Maccarthysme et la censure morale ont sans doute participé à la raréfaction du film noir à partir de la fin des années cinquante. Cependant, ils ont aussi conduit à des inventions formelles pour tenter de déjouer la censure morale et politique imposée à l'époque.
Pourquoi le public est moins intéressé par le film noir : - La progression de la télévision dans les foyers américains joue un rôle important (feuilleton policier).
- Hollywood le délaisse le film noir au profit d'autres types de films (y compris pour ses séries B).
Les effets du Maccarthysme et du code Hays sur le film noir : - L’édulcoration des scénarios. La critique sociale explicite disparaît en partie des films à fin des années quarante.
- Depuis le début des années trente (Code Hays), le cinéma américain est en effet contraint de respecter des règles morales qui interdisent de promouvoir « le vice, le pêché ou le mal », ou de ridiculiser la loi (nudité, meurtre, délit, armes,... sont réglementés).
On a donc une double censure morale et politique. Il faut ruser, jouer des ellipses, de la suggestion, utiliser le off (ombres et son) pour cacher les actes meurtriers ou la violence. Ces ruses portent finalement une critique sociale souvent très forte (corruption, libertés individuelles), même si on négocie avec les censeurs (la loi doit toujours triompher en apparence).
2. The Prowler de Joseph Losey, un film noir subversif et révélateur de son époque : a) Joseph Losey et le Maccarthysme :
Joseph Losey (courte biographie) réalise entre 1950 et 1951 trois films noirs, qu’on peut appeler des thrillers :
-The Lawless (Haines, 1950) une histoire de préjugés raciaux et de lynchage, très engagé politiquement.
-The Prowler (Le Rôdeur, 1951)
-The Big Night (La Grande nuit, 1951).
Au printemps 1951, refuse de signer de signer le serment de loyauté exigé par les studios. Dénoncé comme communiste, il est mis sur liste noir et s'exile en Angleterre.
Il va peu à peu s’éloigner du film noir (The Servant en 1963) même si l'ambiance de ses films restent assez proches de celles du film noir( The Servant, 1964, Monsieur Klein, 1976).
Photo de presse. Losey et ses acteurs sur le tournage du Rôdeur. b) Un tournage emblématique de la période du Maccarthysme :
- La production, le réalisateur et le scénario :
Au départ, c’est un film de série B fabriqué avec peu d’argent pour faire un profit immédiat.
Le producteur est Sam Spiegel, associé à John Huston (Evelyn Keyes, l'actrice principale est sa femme).
C’est elle qui réclame Losey pour diriger le film (pétition en commun contre l'HUAC avec Huston)
Losey aborde en effet le projet avec l’HUAC sur son dos (c'est en fait "une rose de salon").
Donald Trumbo est le scénariste, lui aussi touché par le Maccarthysme (les Dix). Il écrit en quelques semaines trois scénarios de films noirs, dont le Rôdeur, avant de partir en prison.
- Le tournage et les artistes du film : Le tournage débute en partie en studio en partie dans le Nevada.
La production baigne dans le secret. Il y a un autre scénariste officiel, le décorateur (John Hubley - Mr Magoo) travaille aussi anonymement.
La radinerie de Spiegel n'empêche pas que l'équipe technique, même réduite soit de qualité (le chef opérateur, les décors : maison des Gilvray, motel du Nevada et baraque de la ville fantôme située en décors naturels dans le désert). Les débuts de Robert Aldrich (asssistant) ou l'emploi de Lyn Murray (musique).
L’acteur principal (Van Heflin) est un acteur parfait pour le film noir tant son visage peut passer du charmant au répugnant. Son choix est aussi un choix "politique".
Evelyn Keyes est surtout restée célèbre du fait de son rôle dans Autant en emporte le vent (Sue Ellen), mais c’est le rôle de Suzanne qu’elle préférait entre tous ses rôles.
- La réception du film : Spiegel fait là encore preuve d’ingéniosité manifeste en exploitant la première scène du film dans le trailer, en utilisant une affiche qui insiste sur la dimension sexuelle du film (nuisette suggestive plutôt que serviette de bain pour contrer la censure). Enfin, il attend un an avant de pouvoir faire distribuer le film (en utilisant une société qu'il contrôle pour la diffusion).
La bande annonce du film (https://www.youtube.com/watch?v=UMicgBHZV58 )
A court terme, le film rapporta plusieurs millions de $, contre un coût de production de moins de 750000 $, même si les critiques sont partagées.
Pourtant, sans doute à cause du Maccarthysme et de la fin du film noir, le film est peu rediffusé par la suite. Restauration en 2000.
c) Contourner la censure et critiquer le Maccarthysme : le cas de The Prowler : Le film explore tous les sujets politiques, économiques, sexuels de manière presque clandestine puisque plusieurs participants n’avaient pu mettre leur nom sur le produit fini.
- Une censure morale :
Trumbo a du déjouer les restrictions imposées par le PCA (Production Code Administration), alors que le film parle d’adultère, de fécondation, d’avortement et tournant autour d’un meurtre commis par un policier (ripoux) !
Puis Spiegel, réussit à convaincre les censeurs qu'il s'agit d'une histoire d’amour tragique.
En fait, on peut avancer l’idée que la censure, morale ou politique rend créatif. Ex. : allusions sexuelles dans les dialogues).
- Une dénonciation indirecte du Maccarthysme : Il me semble qu’on peut voir dans le film, une dénonciation implicite du Maccarthysme dont la thématique est indirectement présente dans le film.
+ Le thème du procès (mensonge de Suzanne qui refuse de dénoncer Webb mais se sent coupable car elle sait qu'il a tué son mari) . + Le thème de la délation (indirecte du beau-frère qui, en disant que Gilvray était stérile, accuse en fait le couple qui attend un enfant censé être de ce dernier). + La fuite (métaphore de l'exil de certaines cibles du maccarthysme).
- La thématique sociale : Par ailleurs, l’engagement politique des auteurs reste très sensible, même si le réalisme social est un thème secondaire du film. + l'opposition de classe, une lecture critique.
Une analyse du film comme délivrant un message social (en anglais). 9mn.
En imposant l’image d’un flic ripoux refusant sa condition sociale, et enviant ceux qui possèdent des biens, Losey montre le visage d’une Amérique où le patriotisme semble absent, et le rêve américain impossible à atteindre pour la plupart. Son personnage n’est en rien un marxiste cependant (il rêve de consommation individuelle - la luxueuse voiture, plus que de bonheur collectif et d'égalité sociale pour tous). Malgré tout n'est-ce pas aussi une dénonciation précoce du mirage de la société de consommation, et du matérialisme de la société américaine.