Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

Rechercher dans ce blog

Le Voyage dans la lune de Georges Méliès, 1902. Fiche méthode et analyse du film


Fiche méthode
Analyse d’une œuvre cinématographique

"En plein dans l'oeil" (la scène la plus célèbre du film). 
Le Voyage dans la lune de Georges Méliès
Introduction – Problématique : Le Voyage dans la lune témoigne-t-il de l’apparition d’une nouvelle industrie, d’un art ou d’une nouvelle forme de loisir ? Cette problématique reprend donc celle du cours.

Posez-vous différentes questions :
- Qu’est-ce que l’industrie du cinématographe au tournant du siècle ? Comment Méliès s’inscrit-il dans cette nouvelle industrie culturelle ?
- Qu’est ce que le 7e art, quand apparaît-il ? Quels statuts ont les différents membres de l’équipe de tournage ?
- Pour qui sont fait les films de Méliès (diffusion, réception).

Le film permet de répondre à la question en effet :
- Le film est produit par Georges Méliès qui a monté l’une des premières compagnies cinématographiques, la Star Film. Il a connu un succès fulgurant en quelques années. Mais est-il réellement devenu un industriel ?
- Le contenu reflète celui des films du début du XXe siècle.
- Les conditions de projection et le public qui a vu le film reflètent bien le cinéma début du XXe siècle.
- La postérité du film montre bien qu’il s’inscrit dans l’histoire du 7e art, même si ce statut lui est refusé à l’époque.
La dernière étape de la restauration. Tom Burton. 
Image originale (bobine de Barcelone) / Image restaurée

Méthode d'analyse :il vous faut visionner le film. Puis vous devez lire la bibliographie proposée (cf. fiche de présentation des sources). Sur Méliès elle est évidemment abondante. La récente restauration du Voyage, ayant donné lieu à de nombreux articles et publications.

Je ne citerai que : Gilles Duval et Séverine Wemare, La Couleur retrouvée du voyage dans la lune de Georges Méliès, Capricci, 2011 (en vous renvoyant à sa bibliographie en fin d’ouvrage).
J'ai également utilisé le documentaire de Serge Bromberg et Eric Lange, Le Voyage extraordinaire, 2011 (diffusion Arte en 2012). 

Les questions à aborder dans votre fiche (questions très générales, que vous pouvez réutiliser quel que soit le film étudié) :

1. Le contexte général de production et de fabrication du film (espace temps et espace géographique concernés à contextualiser). Attention, pour bien contextualiser il faut savoir dater la période à contextualiser. Faut-il faire le choix de travailler sur l’année du film (année de tournage et année de diffusion pas forcément les mêmes ; cela peut avoir de l’importance), ou d’élargir à une période plus importante, sans trop remonter dans le temps (même remarque pour le contexte propre au cinéma).

2° Le contexte propre au cinéma (même espaces temps et géographique, mais questionné par rapport au cinéma). Où en est-on au niveau technique (noir et blanc, sonorisation, concurrence d’autres medias comme la télévision ou pas,  niveau d’industrialisation du cinéma). Le scénariste, le réalisateur, le producteur du film et l’équipe technique, les acteurs (Qui sont-ils ? Où se situent-ils dans le paysage cinématographique : production artisanale, cinéma d’auteurs, acteurs liés au star-system, acteurs non professionnels ou professionnels d’un autre art, ou en début de carrière etc.).

3° L’analyse du films: analyse de contenu (que racontent les films, à quel genre cinématographique appartiennent-ils, qui jouent quel rôle et pourquoi ?, les décors sont-ils réels ? Quelle pellicule a été utilisée ? Quel est le rôle de la musique, de la bande-son ?). Analyse d’un film en particulier s’il s’agit d’un ensemble (séquences, plans, montage, éclairage, cadrage etc.) et d’une séquence en particulier s’il s’agit d’un long métrage.
"L'embarquement des astronomes". 
4° Comment le film a été produit, diffusé et perçu ?
(sa réception auprès du public). Quand la réception du film a évolué au cours du temps, il faut élargir la période étudiée (le film a pu être censuré puis ressortir pour des raisons qu’il faut expliciter). Dans le cas du Voyage dans la lune, on peut étudier sa réception jusqu’à nos jours. Si la plupart du temps, c’est la diffusion nationale qu’on interrogera, on peut (c’est le cas ici) se poser la question de sa diffusion internationale et de son influence sur le cinéma.

5° En conclusion vous répondez à la problématique posée en vous servant des éléments qui précèdent.

6° Indiquez la bibliographie utilisée (je ne veux pas que des sites internet – Utilisez des ouvrages).

Vous pouvez organiser votre fiche selon un plan thématique qui répond à la problématique en incluant tout ce questionnement, mais de manière plus dynamique (moins catalogue). Je valorise ce type de réponse organisée sous la forme d’une composition. 
"Le rêve des astronomes. Les bolides. La Grande Ourse. Phoebe". 

Le Voyage dans la lune de Georges Méliès (analyse)

Le Voyage dans la lune de Georges Méliès

(mai 1902, début du tournage – 1er septembre 1902, sortie en France)





Introduction : 
- Innovations techniques liées au transport et à la communication au début du siècle (automobile, radio, avion)...
- Le cinéma est en train de devenir une véritable industrie...
- Georges Méliès (1861-1938) en est l’un des pionniers...
- Il signe en 1902 avec le Voyage dans la lune le premier film de science fiction dont le triomphe est rapide et international.
Problématique : Le Voyage dans la lune témoigne-t-il de l’apparition d’une nouvelle industrie, d’une nouvelle forme d’art ou de loisir ?

I. Le Voyage dans la lune, reflet du cinéma des premiers temps, est avant tout conçu comme une attraction :
A. Une adaptation cinématographique dans la lignée des « fééries » chères à Méliès, et ancrées dans la tradition théâtrale française :
1. L’adaptation cinématographique d’un rêve : aller sur la lune, un thème populaire au début du XXe siècle.
- 1865 début des Voyages extraordinaires de Jules Verne.
- 1875 : Le Voyage dans la lune, un opéra féerie (musique d'Offenbach).
Le Voyage extraordinaire, musique d'Offenbach monté à la Gaité en 1875. 
- 1901 : le romancier anglais H.G. Wells écrit Les Premiers hommes dans la lune. Le livre est traduit en français en 1902. <!--[if !vml]-->
La traduction française du roman d'H.G. Wells sort en 1902. 
En 1898, Méliès mettait en scène le film intitulé La Lune à un mètre.
La lune a un mètre, Georges Méliès, 1898 (@IMbd)

2. Méliès et les féeries :

La féerie est une tradition théâtrale née au début du XIXe siècle au Théâtre de la Gaîté. Méliès comme Zecca ou Alice Guy s'en inspire dans son théâtre, comme au cinéma (cf. les séquences sur la lune comme le rêve des astronomes ou celle du champignon géant). 

3. Méliès est aussi un illusionniste et avant tout un homme de théâtre:

a) Des spectacles de fiction liés au théâtre :
En plus des féeries, Méliès affectionne les tours de magie restitués ou facilités par la technique cinématographique (disparitions). 
- Parcours de Méliès depuis 1888.
- Il adapte le cinéma aux exigences du spectacle théâtral:
Son premier « atelier de poses » ou « théâtre de prises de vues », a les dimensions originelles de la scène son théâtre (13mX 6,5m). Machineries du théâtre. 

b) La pyrotechnie et le Voyage dans la lune :
On retrouve l’univers du théâtre adapté au cinéma dans les effets pyrotechniques qu’il affectionne.
+ fumées de la construction du canon géant.
+ explosions au moment du lancement
+ Explosions avec fumigènes pour les disparitions (Sélénites).
+ Flammes éruptives après le Clair de terre.
Elles impressionnent beaucoup le public alors. 

c) Une distribution liée au théâtre elle-aussi :
En 1902, Méliès est le seul metteur en scène de la Star Film (contrairement à ses concurrents). Il supervise toutes les étapes du film qu’il produit, participant à tout. 
Méliès en train de peindre des décors (@La couleur retrouvée..., op. cit.)
Ce sont des fidèles qui participent au Voyage (Bleuette Bernon, Brunnet, Farjaut, Kelm…) avec des acrobates des Folies Bergères, des girls du Théâtre du Châtelet, des chanteurs de music-hall. Méliès tient quant à lui le rôle du professeur Barbenfouillis.
Les "Girls" du Châtelet. 
B. Le Voyage dans la lune, un succès populaire international :
1. Pour qui Méliès produit-il des films :
- Diffusion : son théâtre, les forains, mais aussi les premières salles fixes ou les grands magasins Dufayel. 
- L'utilisation de la couleur dans les films de Méliès (féeries et à la demande). Atelier de coloris d'Elizabeth Thuillier. Au total, il y a plus de 13000 images à coloriser. Chez Pathé, c’est la technique au pochoir qui va être utilisée après 1904 (plus industrielle et donc moins chère).
"Atelier de coloris" de mademoiselle Thuillier (@cineclubcaen.com)
II. Le Voyage dans la lune un spectacle cinématographique :
A. Méliès et la Star Film en 1902 :
    1.L’atelier de poses, ancêtre du studio de tournage :
Pour lui, il fallait réunir l’atelier photographique ou celui des peintres (verrières lumineuses) et le théâtre au même endroit. C’est d’ailleurs le premier atelier de pose, équipé de véritables machineries de type théâtrales, édifié dans le monde.

Un second atelier est construit en 1907.
Les machineries de l'atelier de Méliès
On parlera de studio vers 1910. 

2. Le Voyage dans la lune témoigne de la domination française sur la production cinématographique :
Le film a exigé 30 mois de tournage et a coûté 10000 francs, ce qui est une énorme somme à l’époque. C’est heureusement pour Méliès un énorme succès dès sa sortie. On peut dire que c’est le premier succès mondial de l’histoire du cinéma. A cette date, la firme à l’étoile (très vite les films vont porter le logo pour éviter le piratage) a aussi des bureaux à Londres, Berlin et Barcelone.
Les années 1901-1904 sont donc bien les années d’apogée de la Star Film, ce qui correspond à l'apogée du cinéma français.

3. Ses fictions renouvellent le genre cinématographique :
Empruntant au théâtre, Méliès va cependant renouveler le genre cinématographique en le transformant en un véritable spectacle de fiction. Ce faisant il crée un univers où l’imaginaire et le merveilleux domine, comme en témoigne les 30 tableaux en trois actes du Voyage. 
 - Le tournage du film et les trucages (tous les trucages mis au point dans ses précédents films sont utilisés) : disparitions, transformations, pyrotechnie.  
- Il est aussi l’inventeur de décors, de maquillages extraordinaires, ce qui lui permet par exemple d’inventer les premières créatures du cinéma fantastique (les Sélénites).
Les Sélénites pourchassant les astronomes. 
- Il participe également à l’invention d’un langage cinématographique. En particulier dans la fameuse scène de l’arrivée de l’obus dans l’œil de la lune (prise de vue subjective). Cette image est ainsi devenue iconique.

III. La postérité d’un film devenu une œuvre d’art :
A. La fin de la Star Films signe la disparition temporaire du Voyage dans la lune :
1. Méliès n’a pas su s’adapter  à l’industrialisation du cinéma :
Méliès vend plus cher une production qui reste artisanale. 
Or, il est piraté, mais aussi copié. 
Excursion sur la lune, Segundo de Chomon, Pathé, 1908.
Par ailleurs, lentement mais sûrement le public se lasse, alors que Méliès peine à se renouveler. A la Conquête (1912) est un échec commercial. Son dernier film n'est même pas diffusé.
De plus, après 1908, les forains vont peu à peu abandonner l’exploitation des films, devenus, du fait de la location imposée par Pathé, trop chers pour eux. A partir de 1911, Méliès passe par Pathé pour distribuer ses films et a du mal à fournir les 300 mètres par semaine que les éditeurs de films se sont engagés à produire durant leur Congrès mondial (février 1909). La qualité de sa production s’en ressent à un moment où le public demande de l’action, du suspens et réclame des sujets moins proches du théâtre.

2. La fin des studios signe la fin du Voyage ?
En 1913, il ferme sa maison de production. 
Il est définitivement ruiné au sortir de la guerre. Son théâtre disparaît en 1923. Les ateliers sont détruits. Les films, les négatifs sont détruits ou disparaissent presque tous dans ces années dramatiques pour Méliès.
On connaît la suite. Ce n’est que grâce aux économies de sa deuxième femme Jehanne d’Alcy (épousée en 1925) qu’il pourra survivre dans le magasin de jouets de la gare Montparnasse.
Méliès et Jehanne d'Arcy dans leur magasin de la gare Montparnasse. 
B. À partir de la fin des années vingt, Méliès devient un pionnier du cinéma des premier temps, acquérant ainsi tardivement une véritable reconnaissance artistique :
1. La redécouverte de Méliès à la fin des années vingt : 
Il est redécouvert par la deuxième génération de cinéphiles. Ils lancent l’idée d’un gala qui a finalement lieu salle Pleyel à l’instigation de Jean Mauclaire, le directeur du Studio 28.Le Voyage dans la lune est projeté en noir et blanc. 
Méliès et Jean Mauclaire, 1929.
Le travail de redécouverte  (voire de restauration) des films continue avec notamment Henri Langlois.
Heureusement, car le parlant va porter un nouveau coup aux films muets qui sont souvent détruits (on estime que 70% du cinéma muet n’existe plus).
Pour Méliès qui meurt en 1938, la perte est moins importante puisque sur les 500 films estimés de sa production 200 ont pu être retrouvés dont le voyage. Mais tous ne sont ni complets ni en bon état.
Cette reconnaissance tardive est aussi le signe de la reconnaissance du cinéma en tant qu'art. 

3. Une dernière aventure : la restauration du Voyage dans la lune en couleurs (1999-2011)
- En 1999, Eric Lange retrouve, grâce à la cinémathèque de Barcelone, un négatif en couleurs du Voyage. Il faudra plus de dix ans pour mener à bien la restauration de ce négatif qui avait échappé en partie à l'usure du temps (le nitrate dégrade le film en quelques décennies normalement).
- En 2008, une exposition Méliès est organisée à la Cinémathèque française. 
- En 2011, le Voyage en couleurs fait l’ouverture du Festival de Cannes et par la suite d’autres festivals dans le monde entier.