Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Le Jour se lève de Marcel Carné

En contrepoint du cours sur le cinéma du Front populaire quelques mots sur le film de Marcel Carné dont la version rénovée sera présentée au Ciné Lumière de l'IFRU (Londres) du 21 au 25 octobre (et le 30 octobre).


Quelques mots sur Le Jour se lève de Marcel Carné (1939)


Le Jour se lève (bande annonce officielle. Version restaurée). 
Le film : Le Jour se lève s’inscrit dans une période où l’Europe sombre peu à peu dans la violence, où la guerre menace, et où les illusions du Front populaire se sont envolées.
Marcel Carné semble emprisonner dans son film, le pessimisme de ses contemporains.
Le film sort en juin 1939, et peut même être présenté à la Mostra de Venise, quelques semaines avant le début de la Seconde Guerre mondiale. En 2014, il est présenté pour la première fois depuis 1939, dans sa version intégrale restaurée. Il avait en effet été censuré par le gouvernement de Vichy, dont la morale réprouvait la scène où Arletty est nue dans sa douche. Les copies diffusées après la guerre avaient conservé cette version censurée. 

C’est l’un des films le plus emblématique du « réalisme poétique » français. Si de cette période de l’œuvre de Carné, on connaît mieux Hôtel du Nord ou Quai des Brumes (1938), Le Jour se lève fait également partie des chefs d’œuvre du cinéma français des années trente.

Le réalisateur : Refusant de devenir ébéniste, comme son père, Marcel Carné se tourne d’abord vers la photographie, puis s’oriente vers le cinéma (critique et assistant réalisateur de Jacques Feyder de René Clair etc.). A la fin des années trente, il a réalisé 4 courts métrages et 4 longs (le premier, Jenny, datant de 1936).

Parmi l’équipe du film :
Le réalisme poétique tient beaucoup aux décors d’Alexandre Trauner, artiste d’origine hongroise qui en 1928 a fui le régime fascisant d’Horthy et avec qui Marcel Carné tourne depuis 1937 (Drôle de drame). C’est lui qui fait construire un immeuble de 5 étages dans les studios de Boulogne Billancourt où est tourné le film (de février à mai 1939). Carné, quant à lui, enferme encore plus son héros (Jean Gabin), qui a trouvé refuge dans l’immeuble, en exigeant que sa chambre ait 4 murs et non 3 (plans circulaires).

Et quand on parle de poésie, il faut évidemment citer les dialogues et le scénario de Jacques Prévert, dont l’engagement politique transparaît dans cette histoire ancrée dans un contexte ouvrier et marquée par les inégalités sociales.

Enfin, le film ne serait pas ce qu’il est sans la musique de Maurice Jaubert qui a aussi travaillé avec Jean Vigo, Jean Renoir et qui travaille avec Carné depuis 1937. Tué au début de la Seconde Guerre mondiale, c’est sa dernière œuvre, même si ses partitions seront utilisées par François Truffaut pour 4 de ses longs métrages (Adèle H, la Chambre verte, L’argent de poche, L’Homme qui aimait les femmes).

Les acteurs : Jean Gabin est alors la grande star du cinéma français. En le voyant, on pense aux personnages joués par Marlon Brando ou à celui de Van Heflin dans The Prowler de Joseph Losey. Il figure l’idéal type du héros désabusé des films du réalisme poétique, avec Arletty, son alter ego féminin. La gouaille habituelle de l’actrice est cependant ici nuancée par de très lourds silences.
Plus on s'approche de la guerre, plus le réalisme poétique se fait dépressif. 


Autres faits sur le film : Un remake (The Long night) a été tourné en 1947 par Anatole Litvak, avec un happy end hollywoodien...

A la médiathèque de l'IFRU (Londres) :
Vous pouvez lire : Michel Pérez, Les films de Marcel Carné, Ramsay, 1994
Vous pouvez écouter : Maurice Jaubert, Les musiques de film de Marcel Carné (CD).

En ligne notamment : 
- Un site sur Marcel Carné et une page sur le film avec une iconographie abondante : 
http://www.marcel-carne.com/les-films-de-marcel-carne/1939-le-jour-se-leve/fiche-technique-synopsis-revue-de-presse/
- La page du ciné club de Caen sur le film : 
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/carne/jourseleve.htm
- la page du site critikat sur le film :
http://www.critikat.com/actualite-cine/critique/le-jour-se-leve.html
- la page du blog du Monde : l'Oeil sur l'écran : 
http://films.blog.lemonde.fr/2007/01/24/jour-leve/
- les pages de la BIFI et de la cinémathèque consacrées à Carné où vous trouverez une bibliographie plus exhaustive : 
http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=12183
http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/fiche-cycle/marcel-carn,477.html


J'accuse ! d'Abel Gance (1919)

J'accuse ! d'Abel Gance (1919)



Le film qui sera présenté dans sa version rénovée le 26 octobre 2014 à l'Institut français du Royaume-Uni lors d'un Ciné-concert accompagné par Karol Beffa, apparaît comme une des œuvres majeures du cinéaste français Abel Gance (1889-1981). Rapidement devenu un mythe, avec le Napoléon de 1927, il fait partie du panthéon du cinéma français muet.

            Il faut cependant savoir qu’il y a eu deux J’accuse. Le premier, dont l’idée naît dès 1916, sort sur les écrans en avril 1919, l’année de la victoire. Le second film, qui évoque le héros vingt ans après, est tourné en 1937 et sort en 1938 dans un contexte radicalement différent.
            Présenté comme un réquisitoire contre la guerre, le J’accuse de 19 est un hommage aux soldats, un témoignage de reconnaissance envers les souffrances endurées pendant 5 ans. Gance, qui n’a pas 25 ans au début de la guerre, n’a pas combattu (il a rejoint très peu de temps le service photographique aux armées en 1915). En résonnance avec l’intense processus de commémoration patriotique de 1919, le film est donc «un monument cinématographique érigé à la mémoire de ceux qui sont morts pour nous. » (Affiche publicitaire). Mais ce n’est pas complètement un film pacifiste, au sens où aucune guerre ne trouverait de justification possible, quelle qu'elle soit, même si Abel Gance le présente comme un réquisitoire contre la guerre, et qu'il va être ainsi perçu par ses contemporains. 

            Pour mieux comprendre l’esprit du J’accuse de 1919, il faut aujourd’hui le comparer à celui de 1938. On peut ainsi mettre en parallèle les deux scènes finales de la résurrection des morts dont la signification est radicalement différente (cf. le cours sur La Grande Guerre au cinéma pour les extraits) : En 1918, les soldats français « se réveillent » et vérifient que leur sacrifice n’a pas été vain (on va ériger pour eux des monuments aux morts). 20 ans plus tard, les morts (certains sont d’ailleurs allemands !) vont sortir de leur tombe pour effrayer les vivants, pour tenter d’empêcher une nouvelle guerre. Pour cela, Gance utilise des « gueules cassées »  qui sont là pour prouver la monstruosité et l’absence de sens de toute forme de guerre. Avec un quadruple procédé de surimpression, sa marche de plus de 50 « gueules cassées » impressionne aujourd’hui encore.


J'accuse, bande annonce pour la diffusion Salle Pleyel le 8/11/2014 (@Lobster films). 

            Mais revenons, au premier J’Accuse et à ses origines, celles de la parution en feuilleton du texte d’Henri Barbusse, Le Feu, journal d’une escouade, dont la représentation actuelle doit beaucoup à son Goncourt obtenu en 1917 et à l'engagement ultérieur de l'écrivain aux côtés des communistes. Gance veut réaliser une grande œuvre humanitaire. Il va aussi se servir de l’expérience de Blaise Cendrars, son assistant, qui a perdu un bras (Cf. La Main coupée).
            Cependant, de nombreux passages du film témoignent d’un système de représentations patriotiques. Ainsi les références au chef gaulois résistant à l’invasion étrangère est-il ouvertement cocardier (Gance évoquera ensuite la pression de la censure de guerre).
            En fait, on retrouve même chez lui l’idée largement partagée en France d’une guerre défensive pour sauver la « civilisation française » menacée par la « barbarie allemande ». Une scène du scénario (dont on ne sait pas si elle a été tournée) met en accusation l’Allemagne sous les traits d’un Hussard présenté devant un jugement (qui semble divin), à qui on reproche la destruction de la cathédrale de Reims, le morts civils du Lusitania, les bombardements de villes, les violations des conventions internationales et… « les mains coupées des petites filles belges ».

Quant à la scène finale déjà évoquée, si elle s’oppose bien à l’annonce enthousiaste de la mobilisation du début du film, elle témoigne surtout (selon l’historien Laurent Véray) du sentiment de culpabilité ressenti par ceux qui n’ont pas combattu tout en ayant perçu l’horreur du conflit. Albert Gance mélange ainsi des valeurs nationales (le sacrifice pour défendre la patrie dont il faut se souvenir à jamais) et chrétiennes (les Villageois s’agenouillant pour prier).

Ce texte est fondé avant tout sur l’ouvrage de Laurent Véray, La Grande Guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire, Ramsay cinéma, 2008.

Parmi les ouvrages disponibles à la médiathèque de l'IFRU à Londres :
- Laurent Véray, Abel Gance, nouveaux regards, CNC, 2000 (791.437 GAN).
- King Norman, Abel Gance, a politics of spectacle, British Film Institute, 1984. (791.437 GAN).
- Jeanne René, Abel Gance, Seghers, 1963 (791.437 GAN).
- Henri Barbusse, Le Feu, Journal d’une escouade, Gallimard, 1916. (in François Rivière, Les Grands Romans de la Guerre 14-18, Coll. Omnibus, 1994 (944.081 4 GUE).
- Blaise Cendrars, La Main coupée, Gallimard, 1946 (écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, IFRU : Edition Folio 
2008 (LA/CEN). 

En ligne : 
- Un passionnant article de Laurent Véray dans la revue 1895 (Laurent Véray, « Abel Gance, cinéaste à l’œuvre cicatricielle », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 31 | 2000, mis en ligne le 06 mars 2006, consulté le 15 octobre 2014.)
http://1895.revues.org/54
- U n court article intéressant du ciné club de Caen (sur la production et la réception à sa sortie) : 
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/gance/jaccuse.htm
- Un article stimulant du très bon site critikat : 
http://www.critikat.com/panorama/analyse/j-accuse.html

- Un dossier du CNDP sur les deux J'accuse, qui parle davantage de celui de 1938, sans faire vraiment la différence entre les deux versions. 
http://www.cndp.fr/pour-memoire/larmistice-du-11-novembre-1918/la-grande-guerre-sur-les-ecrans-de-cinema/jaccuse-dabel-gance/


@rachelmazuy