Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Cinémas soviétique et nazi un art de la propagande


Les cinémas soviétique et nazi, un art de la propagande


1. Le cinéma, un vecteur important du contrôle des masses qui passe par l'encadrement des artistes et de la production

Le cinéma, vecteur fondamental du contrôle social pour les dirigeants soviétiques et nazis : 

Deux situations initiales très différentes :
Le cinéma en Russie soviétique avant 1917 : un cinéma encore réservé à une élite urbaine dans un pays qui plonge dans la guerre civile.

Stenka Ranzine d'Alexandre Drankov, 1908
Le cinéma en Allemagne au début des années trente : 
Le cinéma sur Unter den Linden en 1934.
Séance pour le film Masquerade de Willi Fors, Collections du Musée juif de Berlin

Un loisir de masse qui rayonne à l'étranger (expressionisme allemand même si c'est beaucoup plus divers) dans un pays majoritairement urbain, qui possède déjà de grandes sociétés de production (UFA)
En Russie : 
Léon Trostky, La Vodka, L'Église et le cinéma. 
Train d'agit-prop  - Collection Vertov - 
Musée Autrichien du film
Dessins pour les décors d'un agit-train - 
Sur cinesovietico.wordpress.com.png
Des petits films de propagande (appelés "agitki")  sont produits dès 1918 et diffusés dans les agit-trains.

En Allemagne :
Goebbels, Hitler et le cinéma
Création d'un ministère de l'Education populaire et de la propagande dès le 5 mars 1933
Visite des studios de la UFA par Hitler et Goebbels 
4 janvier 1935
Bundesarchiv (Archives fédérales allemandes) 
 Le Testament du docteur Mabuse, 
Fritz Lang, 1932, 122 mn.

La question de la censure : 


Censure et double programme en Allemagne
Un contrôle plus efficace en Allemagne ? 
Une programmation par séances même si la majorité des films sont des films de divertissement
Une censure à tous les niveaux : films et critiques de films ("commentaire"). 
La double séance n'est pas obligatoire
La Jeune fille au carton à chapeau, Boris Barnet

L'URSS des années vingt, une relative liberté de création et de diffusion ?
La tension entre propagande et recherche de rentabilité en URSS :
Libéralisation relative avec la création de studios semi-privés : les studios du Mejrabpom avec les réalisateurs Grégori Kozintsev, Leonid Trauberg, Sergueï Youkévitch ou Boris Barnet ; école de la FEKS.
Une idée reçue, le « réalisme socialiste » domine à parti de 1934 et répond à un code esthétique défini
Tous les films doivent vanter l’utopie socialiste ? 
Une utopie du réel : 
Les Joyeux garçons de Grigori Alexandrov, 1934

Film avec sous-titres en français : 
https://www.dailymotion.com/video/x3xz7q6 (3'50" pour le début de la chanson)

Le cinéma un outil de manipulation de la mémoire :
Lénine en 1918, Mikhaïl Romm, 1939.
Extrait de Lénine en 1918 (à 2'00)
Les films se répondent les uns les autres :
Lénine en Octobre et Lénine en 1918 de Mikhaïl Romm
Maxime à Vyborg de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg

En fait, une doctrine très floue qui sert surtout d’injonctions ou de critiques

Le Cirque, Grigori Alexandrov, 
1936 (affiche Kinophotoizdat)
Une censure devenue omniprésente dans les années trente, autre idée reçue sur une réalité plus complexe :

Le rôle personnel de Staline. 
La place centrale du réalisateur-auteur
La "fin" des films étrangers : produire des films "réalistes socialistes" ... et Walt Disney :
Les paysans d'Ermler (1935) : la scène du rêve. 49'17'' - https://www.youtube.com/watch?v=Ro3bjXBtLZo
De multiples filtres et des négociations tout au long du processus


2. Le contrôle des artistes et de la production, préalable au contrôle des masses ? : 

Une production au service de l'Etat ? 

Nationalisations et préoccupations économiques dans le cinéma soviétique des années vingt et trente : Les grandes sociétés sont nationales en URSS
1919 : industrie cinématographique nationalisée. Création du "VGIK".
Mosfilm, Lenfilm, Goskino et Sovkino.
Mais il y a une concurrence entre les studios jusqu'aux milieu des années trente et tout n'est pas intégré à ces structures nationalisées (les salles).

Des sociétés privées de plus en plus contrôlées par l’Etat en Allemagne :
Une étatisation qui reste incomplète jusqu’en 1942 :
La crise économique, la diminution des exportations, Ufa avant et après 1936, la Tobis et l'Ufi. 
Devant le cinéma Ufa Palast Zoo, Berlin, 1935, photo Martin Dzubas, Musée juif de Berlin

L’encadrement des artistes : deux logiques très différentes

Des artistes engagés aux côtés de la Révolution pour faire de la propagande politique et éducative Maïakovski, Lev Koulechov, Vselovod Poudovkine et Sergueï Eisentsein. Les "Kino-nediélia" de Dziga Vertov.
Le statut de l'artiste en URSS : un statut privilégié mais contrôlé (les purges des années trente).
Boris Choumiatski ; Kino-gorod ("ville-cinéma"). 
La reprise en main du cinéma soviétique par Boris Choumiatski

Sur le tournage du film Theresienstadt. 
Un documentaire sur une zone de peuplement juif
Kurt Gerron, 1944
Et en dessous une image extraite du film


Une aryanisation du cinéma allemand lié à l’antisémitisme du régime
De l'exclusion à la mort (Kurt Gerron)
https://www.dailymotion.com/video/x74ho1w - extrait de Les enfants de Terezin et le monstre à moustache, documentaire d'Henriette Chardak, 2018
, France 5

Des artistes engagés dans une propagande active finalement peu nombreux 
Léni Riefenstahl (Le Triomphe de la volonté, 1934 puis Olympia, Les Dieux du stade en 1936), Hans Steinhoff, Le Jeune hitlérien Quex (1933)
https://archive.org/details/1933-Hitlerjunge-Quex (Hitlerjunge Quex, Hans Steinhoff - 1933. 1h26' 25'' - la mort du jeune hitlérien).
S.A. Mann Brand, Franz Seitz senior, 1933
Olympia, Les Dieux du stade, Leni Riefenstahl, 1936

Leni Riefenstahl sur le tournage d'Olympia

Les nazis abandonnent dès 1933-34 les films ouvertement propagandistes : films de divertissement majoritaires (idéologie plus diffuse).
Ce sont des oeuvres mièvres en grande majorité (1933-1939) La majorité des cinéastes se contente de produire des oeuvres de faible intérêt (mélodrames, romances, aventures) à quelques exceptions près. Ils comptent moins que les acteurs (
Emil Janings, Zarah Leander)Spielleiter"
Veit Harlan et  Hans Detlief Sierck.
Die Reise nach Tilsit (Le Voyage de Tilsitt), Veit Harlan, 1939

Le véritable cinéma allemand est celui des exilés ?
L’arrivée au pouvoir des nazis provoquent une hémorragie de professionnels du cinéma (Fritz Lang; Billy Wilder, Georg Wilhem Pabst, Robert Siodmak, Peter Lorre…), même si certains artistes sont partis avant (Lubistch, Marlène Dietrich).

Le « réalisme socialiste » et ses effets sur la production cinématographique soviétique :    
Des produits formatés ? retour sur une idée reçue.
Il ne faut pas idéaliser les années vingt : 
Sergueï Eisenstein, L'Ancien et le nouveau (La Ligne générale), 1929.
Des réalisateurs écartés, des films censurés : un coût économique important

Images du Pré de Bejine de Sergueï Eisenstein, 1936
Des genres soviétiques, ou des genres traditionnels dans un moule soviétique ? 
Une plus grande créativité qui persiste
Au bord de la mer bleue, Boris Barnet, 1935-36
Le thème est un thème de propagande, mais la forme reste très personnelle.
Or, le film est diffusé, même si c’est pour une assez courte période.


3. La propagande cinématographique et ses effets sur le public.

Le cinéma un art qui touche les masses :

Les salles et les chiffres de fréquentation :
Le cinéma touche progressivement l’ensemble du peuple soviétique : on construit des salles partout (clubs ouvriers, kolkhozes…) dans les années vingt. Dans les années trente, on augmente encore le nombre de salles, surtout dans les campagnes (même si elle reste moins bien loties).

Tchapaev, Sergueï et Gueorgui Vassiliev, 1934
30 millions de spectateurs en URSS la première

 année (Grand Prix de l'exposition universelle de
Paris en 1937).

Les chiffres impressionnants du cinéma allemand : Plusieurs millions, voire dizaine de millions de spectateurs même (voire surtout) pendant la guerre.

Des effets à nuancer 

Les succès des années vingt ne sont pas ceux de l’avant-garde : l’importance du divertissement et des films étrangers 

Le Baiser de Mary Pickford, Sergueï Komarov, 1929(Il se moque de la folie pour les films américains). 

Le succès des films étrangers : 
Le Mécano de la Générale, Buster Keaton, 
affiche soviétique 
Les films de divertissement soviétique : 
Aelita de Yakov Protazanov (1924) Affiches allemande
et soviétique . 




(extrait sur http://kebekmac.forumprod.com/zhelyabuzhsky-1924-la-vendeuse-cigarettes-mosselprom-vostf-t3940.html)

La Vendeuse de cigarettes du Mosselprom de Iouri Jeliabouski (1924)
Le passage au parlant : 
Le Chemin de la vie, Nikolaï Ekk, 1931
Dans les années trente, des films appris par coeur

La propagande cinématographique nazie et ses limites pendant la Seconde Guerre mondiale :
L’importance des mélodrames, et le maintien du divertissement




Le Baron de Munchausen, Josef von Báky, 1943 (en couleurs)
Extrait du Baron de Münchausen, à 0'44"

Les films de propagande nationaliste :


La Lutte Héroïque, Hans Steinhoff, 1939


Kolberg, Veit Harlan, 1945


On assiste à l'augmentation des films patriotiques ou revisitant le "passé allemand" (Kolberg de Veit Harlan, 1945) ou des films contre les ennemis, en particulier les communistes, comme dans G.P.U. de Karl Ritter, 1942 (à 4' 14'').  - Extrait sur https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn1001982
Mais leur efficacité est limitée par les défaites à partir de 1942. 


Les films antisémites : 
Le Juif Süss, Veit Harlan, 1941
Le péril juif, Fritz Hippler, 1940

Le cas complexe des films eugénistes
Ich Klage An,  Wolfgang Liebeneiner, 1941 (affiche pour l'exportation). 
https://archive.org/details/IchKlageAn1941_839 - avec sous-titres anglais. 51'15"

Conclusion :
La pérennité des films de la période nazie en RFA
Ohm Krueger, Hans Steinhoff, 1941
Les « films trophées » en URSS
https://archive.org/details/Ohm.Krueger.1941.Ger.vo.satkurger.ver2.AC3.Rus