Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Le cinéma sur la Grande Guerre en France


Les représentations de la Grande Guerre au cinéma (années de guerre - aujourd'hui)


Introduction :
Les représentations cinématographiques de la guerre contribuent à structurer l’imaginaire social, tout comme d’autres formes de transmission de la mémoire.
C’est en particulier vrai pour la Grande Guerre. En France, elle a eu pendant longtemps et a retrouvé depuis quelques décennies  un poids considérable. 
Qu’en est-il de la production cinématographique ? Que nous disent les films de la Grande Guerre sur la société qui les a vu naître (entre 1914 et 1918) et sur notre société actuelle ?
Nous avons choisi (en cela nous utilisons en priorité les travaux de Laurent Véray et de Nicolas Offenstadt - cf. bibliographie) de nous intéresser au cinéma français, en mentionnant aussi les films étrangers qui ont eu et parfois ont encore un impact important en France. Nous avons également décidé de nous intéresser à deux périodes uniquement. D’où un plan en deux parties, l'une sur le cinéma de la Grande Guerre durant la guerre, l'autre sur le cinéma de la Grande Guerre depuis une trentaine d'années. 

I.               La Grande Guerre au cinéma pendant la guerre, héroïsme et patriotisme (1914-1919) :
  1. Le cinéma fait partie de la propagande de guerre :
- Les images produites pendant la guerre et au sortir de la guerre sont avant tout là pour créer de l’unité nationale (maintien de « l’Union sacrée » de 1914). Il faut soutenir le moral (arrière et front).

- Pour soutenir le moral des troupes, on aménage dans les cantonnements de repos, des salles de cinéma à partir de 1915 ("Le cinéma aux poilus"). 
C'est une guerre du droit pour défendre la civilisation menacée. On peut donc parler de véritables guerres des images  (En Allemagne : l'Ufa).
On peut aussi dire que c'est le premier véritable conflit médiatisé. 

- Au début de la guerre cependant les autorités politiques et militaires n’avaient pas d’idées claires sur le rôle à assigner au cinéma. Mais ce n'est qu'en juillet 1916 (offensive de la Somme) que les opérateurs peuvent aller en premières lignes. 
Pour les sociétés commerciales, il il faut répondre aux demandes du public de l’arrière.
On va donc créer des structures d'encadrement (Société cinématographique de l'Armée) dans un cadre qui reste démocratique. Les opérateurs privés sont contrôlés par l'armée qui veut aussi laisser des traces du conflit (images d'archives) . 

- On fabrique des journaux d'actualités (5 à 15 mn). 
Si on ne montre pas les horreurs du front (pas de démoralisation), on n'hésite pas à montrer la "barbarie" de l'ennemi en mettant en scène les monuments "martyrs" (l'utilisation du vocabulaire religieux ne doit rien au hasard). Ce qui va persister après la guerre, au moment de la reconstruction.

Les photographies (diffusée souvent par le biais de cartes postales) montre que le "martyr" est mis en scène et entretenu par plusieurs vecteurs culturels (photographie, cinéma, peinture, reportages de guerre). On peut retrouver ces images du martyr en 1937, lors de la reconstruction de la cathédrale de Reims :

- La nature des images : Il y a trois sortes d’images (L. Véray). Les « images fictives », les « images effectives codifiées » et les « images effectives peu codifiées ». 

La fiction l'emporte, ce qui ne choque pas le public. Il s'habitue aussi à voir la guerre en coulisses (vie quotidienne enjolivée, visites au front, transports de troupes...). 

Vous trouverez plusieurs journaux d’actualités, notamment la mobilisationdes troupes en 1914, le pilonnage des tranchées ennemies à Verdun en 1916, sur ce site éducatif de l’INA. 
On montre aussi l'arrière en insistant sur l'héroïsme des femmes en particulier.  
Cf. http://www.ecpad.fr/la-femme-francaise-pendant-la-guerre#more-10780
Ce film est un montage de l'ECPAD à partir de film d'archives sur les femmes durant la guerre :
ou Sur le site Jalons pour une histoire de notre temps, un documentaire sur la mobilisation des femmes au cours de la guerre
http://www.ina.fr/fresques/jalons/fiche-media/InaEdu04504?video=InaEdu04504
@Laurent Véray, La Grande Guerre au cinéma, Ramsay, 2008
A partir de 1917, on produit aussi des longs métrages. La Puissance militaire de la France d’Henri Desfontaines. 

On peut voir le film en 5 parties sur le site de l'ECPAD ("L’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) a pour mission de garantir la disponibilité permanente d’équipes de reportage formées aux conditions de tournage opérationnel pour témoigner en temps réel de l’engagement de nos armées sur tous les théâtres d’opérations." site de l'ECPAD). 

- La censure : 
+ Elle est exercée par les autorités locales au départ. 
+ Elle dépend (à partir d’avril 1915 jusqu’en mars 1917), du Bureau de la Presse créé par le Ministère de la Guerre. 
+ A la fin de la guerre, elle dépend d’une commission du SCA composée de civils (Beaux-arts, Affaires Etrangères) et de militaires. Enfin, elle est liée la SCPA (cinéma et photographie fusionnent).
Elle s'exerce tout autant sur les documentaires que sur les films de fiction. 

2. Le cinéma va produire des films patriotiques qui héroïsent toute la société en guerre :
a) Les films d’actualités : Une propagande plus complexe qu’il n’y paraît.
- On va montrer l’effort de guerre et encourager les populations à le soutenir par tous les moyens 
(Pour la victoire en 1916). On va aussi montrer cet investissement de l’arrière en témoignant des nouveaux rôles féminins. 
La propagande est cependant souvent dépassée par les images. 
La guerre reste en partie  "invisible" en grande partie, même après la Somme, mais parfois la caméra enregistre l'imprévu. On entrevoit parfois (censeurs pas toujours vigilants) l'horreur de la guerre. 
En effet, les destructions sont telles, qu’elles laissent imaginer leurs conséquences humaines. Les films scientifiques et médicaux qui doivent montrer l’efficacité du système de santé, sont aussi à double tranchant.
Cependant, les films répondent aux attentes du public. On ne lui montre pas plus que ce qu'il peut accepter. 

- La représentation de l’ennemi est plus complexe que celle de la presse. On a bien un ennemi vaincu, exhibé comme un trophée, mais il n’est pas le plus souvent « monstre sanguinaire » que présente la presse.    


b) Comme il est difficile de filmer le combat sur place, les films de fiction vont prendre le relais.
Un visa de censure  leur est délivré.
Les studios se lancent dans la réalisation de films patriotiques (leur initiative). Une stratégie patriotique qui est aussi commerciale. Plus ou moins patriotique en fonction des années (chronologie). 

Les cinéastes comme Louis Feuillade ou Léonce Perret font partie des plus prolifiques.  (Françaises Veillez ! (1914), Les Héros de l’Yser (1915), Lafayette we come (1918)).   Ils mettent en scène des hommes et des femmes, insouciants du danger, prêts à tout sacrifier pour leur patrie.. L’action militaire est aussi glorifiée. 
Une Page de gloire, Léonce Perret, 1915 in Laurent Véray, op. cit. 
Une Page de gloire, in Laurent Véray, op. cit.
La brutalité et la violence de la guerre sont fortement adoucies.
Au début de la guerre, on voit aussi se développer un genre héroïco-burlesque, avec les personnages des séries à la mode qui deviennent de bons patriotes (Bout-de-Zan, Bébé, Onésime). Max Linder, lutte ainsi contre l’espionnage allemand (Max et l’espion). 

Mais la réalité (les lettres, et même les films d’actualités) rendent moins pertinentes ces visions patriotiques et divertissantes de la guerre, qui persistent néanmoins. Or, les soldats ne s'y retrouvent pas. 

Bout de Zan et l'Embusqué de Louis Feuillade, 1916. (sous-titres en anglais) : https://www.dailymotion.com/video/x27l59 

- La haine de l’ennemi : Cette analyse fait partie d’une analyse plus large qui est discutée par une partie des historiens français. Les "concepts" de "brutalisation" et de "culture de guerre" en particulier font polémiques (Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker). Cf. site http://crid1418.org/espace_scientifique/textes/conceptsgg_01.htm

Le cinéma patriotique véhicule des stéréotypes inscrits, selon Laurent Véray, dans une culture de guerre spécifique. Le tableau caricatural de l’Allemand tel qu’il a été véhiculé par la propagande patriotique depuis la défaite de 1870 est donc réactivé. Mais on utilise la figure de l'espion (L’Autre devoir de Léonce Perret). Après 1916, les films diffusés en France vont accentuer les représentations de la barbarie allemande (Le Moulin tragique de Gaston Lainé). Au printemps 1918, les événements militaires provoquent un nouveau regain de germanophobie (Vendémiaire de Louis Feuillade sorti en 1919). 
Vendémiaire de Louis Feuillade, 1919
Cependant, ces fictions restent on l’a dit assez réservés autant sur le plan de la violence de la guerre que sur les cruautés avérées des Allemands. 

3. L’influence des films américains :
Hollywood va réaliser pendant tout le conflit des films de guerre (bases génériques du «film de guerre ») qui obtiennent de vifs succès. 
Cf. Griffith et l'expérience de Coeurs du Monde qui sort en avril 1919. Il tourne  sur le front de la Somme pour préparer Hearts of the world en 1918. 
Le film : 
https://www.youtube.com/watch?v=HWUw6-fL1XA 


Parmi ces films américains, Charlot soldat est atypique. 

Image tirée de Charlot Soldat, © Charlie Chaplin © wikipedia

Charlot soldat (Shoulder Arms), 1918. Extrait : Charlot dans la tranchée : https://www.youtube.com/watch?v=rR-ecWeCCVE 

Le film en entier : https://vimeo.com/359252906 
NB. : Les Allemands ont progressivement remplacé leur casque à pointe par le Stalhem (Casque d'acier). Celui-ci est donc anachronique en 1918. 
Le succès populaire de Charlot soldat est énorme. 

Pourtant les Français ne sont donc pas vraiment influencés par le cinéma américain sur la guerre. Léonce Perret dit l'être un peu quand il tourne aux Etats-Unis (Lest we Forget). Mais dans les faits, cela reste héroïque et aseptisé.  

De fait, la plupart des réalisateurs n’ont pas combattu... (blocage psychologique, + patriotisme défensif). 

4. Un film charnière : J'Accuse d'Abel Gance (1919 et 1938)
Abel Gance (réformé) refuse l'engagement patriotique même s'il se mobilise malgré tout. 
La mort liée à la guerre devient vite chez lui une obsession. 
Dans J'Accuse produit par Pathé qui sort en 1919, il rend hommage aux soldats morts et à leurs souffrances. Inspiré du Feu (Barbusse), le film montre davantage la violence de guerre que les films français tournés jusque là. Il introduit une tonalité nouvelle, pacifique, même si les clichés patriotiques persistent encore
En effet, contrairement au "remake" de 1937 qui sort en 1938, ce n'est pas un film pacifiste. 
Il suffit pour cela de comparer les deux scènes de résurrection des morts (celle de 1919 et celle de 1937). 

Affiche du J'accuse d'Abel Gance - Pathé de 1919
Abel Gance, J'Accuse, 1919 (la scène de la résurrection des morts en images : https://mubi.com/fr/films/j-accuse et le film en entier : https://www.youtube.com/watch?v=EclZmazsnmQ  ) 

La même scène en 1937-38 : https://www.dailymotion.com/video/x2o6wkr 
Le film de 1937, sorti en 1938, comme La Grande illusion de Renoir, est d'ailleurs censuré pendant l'occupation allemande (il ressort en 1946). 

II. La Première Guerre mondiale au cinéma depuis une trentaine d'années : 
1. Une "victimisation" de la guerre ? 
Pour une partie importante des historiens français (Stéphane Audouin-Rouzeau), le cinéma (entre autres) occulterait la "brutalisation" liée à la guerre, même si on n'élude pas la brutalité de la guerre comme en 1914-1918. Certains historiens (Frédéric Rousseau / crid 1914-1918) remette en cause ce concept de brutalisation. 

Si on utilise ce concept plusieurs types de films seraient apparus : 
- Ceux, minoritaires, qui ne gomment pas la phénomène de "brutalisation", même s'ils restent imprégnés par la thématique des victimes. 2 exemple :
+ Capitaine Conan de Bertrand Tavernier (1996). Tiré d'un ouvrage de Roger Vercel paru en 1934. 

Capitaine Conan, Bande annonce. 
+ La Chambre des officiers de Laurent Dupeyron (2001°. Tiré d'un ouvrage de Marc Dugain (1999). Bande annonce de 2014. 


Bande annonce de la Chambre des officiers
- La majorité des films français ou diffusés en France depuis une vingtaine, voire une trentaine d'années s'inscriraient à contre courant de la réalité de la guerre, en mettant en avant les victimes et non les tueurs. 
+ Joyeux Noël de Christion Carion. Initié en 1993, il sort à Cannes en 2005. 

Bande annonce de Joyeux Noël

2. Le cinéma et les historiens ?
a) Le cinéma en avance sur les historiens ? : les films de Bertrand Tavernier.
- En 1988, Bertrand Tavernier va filmer dans La Vie et rien d’autre l’histoire de deux femmes à la recherche du corps de son mari, disparus pendant la guerre.
                                                    

                                  La Vie et rien d'autre, Bertrand Tavernier, 1989.  
3 thématiques chez Tavernier :
-       - le héros non héroïque mais épris de liberté
-       - le rapport aux institutions (en les sommant d’être ce pour quoi elles ont été instituées).
-       - ses interrogations sur la famille

Pour AR, le succès populaire (2 millions d'entrées) est lié au fait que le deuil fait partie de l’identité française du XXe siècle, contrairement à la violence (cf. analyse de Conan).

En cela, selon Stéphane Audoin Rouzeau, le film anticipe de plusieurs années les travaux des historiens sur le deuil de guerre et sur les sorties de guerre.
Un thème que l’historien retrouve dans Capitaine Conan. 

b) Un cinéma nourrit par les travaux des historiens et les archives ? :
- Eric Caravaca, héros de La Chambre des officiers a longuement préparé son rôle par des recherches historiques approfondies. 
- Les Fragments d'Antonin, film de Gabriel Le Bomin (2006).
Dans un entretien avec Nicolas Offenstadt pour le site du Crid 14-18, le réalisateur explique qu’il s’est intéressé aux séquelles psychologiques laissées par les combats en travaillant à l’Ecpad. 
On retrouve la même approche chez Jean-Pierre Jeunet (Un Long dimanche de fiançailles, 2004) ou Christian Carion (Joyeux Noël, 2005). 




                                                            Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet (bande annonce) et montée à l'assaut. 

Les Fragments d'Antonin, Gabriel le Bomin, 2006 (bande annonce, extrait divers et la séquence de l'exécution d'un déserteur). 

3. Une accélération de la présence de 14-18 au cinéma dans les années 2000 :

On peut dire que la Grande Guerre a ressurgi dans la mémoire collective depuis une trentaine d’années. On peut l'expliquer de multiples façons (vague généalogiste, politiques de commémoration, relais médiatique -marronniers, fouilles archélogiques, fin du communisme remettant la guerre au coeur de l'analyse du XXe siècle...).

Au cinéma, si Tavernier s’inscrit comme un précurseur (en dépit des anglo-saxons dans les années soixante et soixante-dix - Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire, Attenborough, Joseph Losey), il y a bien une accélération de la présence de 14-18 dans les années 2000.

En plus des films déjà cités, on peut aussi évoquer Les Âmes grises, d’Yves Angelo, un film sorti en 2000 d’après un roman de Philippe Claudel qui se déroule à l’arrière-front, ou La France de Serge Bozon, sorti en 2007 (désertion, mais chansons pop : comédies musicales américaines et western aussi). 
On peut aussi évoquer plusieurs films qui sans être centré uniquement sur la guerre, en font un élément narratif important ou incontournable (Les Destinées sentimentales d’Oliver Assayas, 2000 adapté d’un roman de Chardonne, ou Les Enfants du marais, de Jean Becker, 1999 d’après un roman de Georges Montforez datant de 1958 – succès commercial avec plus de 2 millions d’entrées).

Par ailleurs, de nombreux documentaires et des téléfilms obtiennent des scores d’audience souvent considérables.Pour les documentaires on peut citer (site du crid 14-18, avec des commentaires pour certains) :
Premier noël dans les tranchées, docu-fiction de Michael Gaumnitz, 2005 (sur les fraternisations de Noël 1914)
La Dernière bataille du soldat inconnu, Christophe Weber, 2008 (reprenant un épisode évoqué par La Vie et rien d’autre, le documentaire raconte comment on a choisi le soldat inconnu après la guerre).
 14-18, le bruit et la fureur, Jean-François Delassus, 2008 (docu-fiction colorisé qui rassemble 6 milions de téléspectateurs)
Les derniers poilus, Jean-Charles Deniau 2004
- Le soldat inconnu vivant, Joël Calmettes, 2004 (relayant un livre sur le même sujet de l’historien Jean-Yves Le Naour).
- Fusillés pour l’exemple, Patrick Cabouat et Alain Moreau, 2003 (un dossier pédagogique pour collège et lycée se trouve sur le site du CNDP)
- Fusillés pour l’exemple, Nicolas Glimois, 2002
- L'Héroïque cinématographe, Agnès de Sacy et Laurent Veray, 2002
- Les derniers de la "der des ders”, Jean-Marc Surçin
- Les Mutineries de 1917 au chemin des Dames: adieu la vie, adieu l'amour, Gérard Raynal, 1998

Pour les téléfilms :
Blanche Maupas, Alain Moreau, 2009 (film sur la veuve d’un fusillé dont la figure à aussi inspirer celle de Mathilde. Avec Romane Bohringer dans le rôle titre, le téléfilm rassemble 5 millions de personnes. Un livre écrit accompagne le film).
Reportage sur le tournage du téléfilm Blanche Maupas. 
Le Réveillon des bonnes, Michel Hasson, 2007 (Véritable saga en 8 épisodes pour France 3, elle est reprise sur France 5 en 2010. La série évoque l’histoire de 4 bonnes dans 4 familles bourgeoises où de multiples « destins de guerre » sont évoqués : celui d’un soldat amnésique dont sa femme voudrait se débarrasser ; celui de veuves dont l’une continue à parler à son mari, celui d’un embusqué, celui d’un déserteur…. L’accent est à nouveau mis sur les « mémoires douloureuses et les icônes signifiantes » (NO, op. cit.).
Les Thibault, 2003 (Ce feuilleton adapté de l’œuvre de Roger Martin du Gard est diffusé en 4 parties en novembre 2003 par France 2. C’est la meilleure audience de l’année pour la chaîne publique).

- La Dette, Fabrice cazeneuve, 2000 (sur un scénario d’Erik Orsenna qui évoque la mémoire marginalisée des tirailleurs sénégalais, à travers l’histoire d’un tirailleur ancien combattant du Chemin des Dames). 
La France de Serge Bozon, 2007 (bande annonce)
Serge Bozon, La France, 2007 (chansons)
                         

Pour Nicolas Offenstadt, la plupart des films portent un double regard commun, qui rompt avec celui de Tavernier.
-       Ils se focalisent sur « des épisodes de guerre en marge des grandes batailles et des opérations de combat ordinaire ». Les gueules cassées (Dupeyron), des soldats punis pour mutilations volontaires (Jeunet), les fraternisations de 1914 (Carion), un soldat colombophile qui multiplie les expériences traumatiques (de Bomin)…
-       Ils privilégient les refus de guerre, évoque la désertion, la répression disciplinaire.
U   C'est un regard qui rejoint celui des « Communautés 14-18 » (ce terme de NO regroupes les associations locales ou régionales, les érudits, les collectionneurs, les enseignants… qui ont crées des sites ou des blogs sur la Grande Guerre)elles aussi très actives durant la décennie, et dont certains des cinéastes font partie (Carion, Tavernier).
Dans tous les cas, ces films évoquent la guerre à travers un œil singulier. 

Ils donnent ainsi une nouvelle actualité aux thématiques soulevées. 

Bien entendu, tous n’ont pas le même impact, car ils n'ont pas tous le succès d’Un Long dimanche de fiançailles ou de Joyeux Noël qui rassemblent respectivement 4,5 millions et plus de 2 millions de téléspectateurs.
On peut prendre l’exemple du deuxième, le film de Christian Carion qui donne en effet une très large actualité aux fraternisations de 1914 (roman avec le film, documentaire sur le thème, et association pour ériger un monument). 

 Ces films récents mettent également en valeur la répression militaire. Ainsi, après les bandes dessinées de Tardi, l’image de l’officier tirant sur ses hommes a pris sa place au cinéma (Un Long dimanche de fiançailles ou Les Fragments d'Antonin). 

Depuis 2008, on peut peut-être parler d’une pause relative, même si la sortie de War Horse (février 2012), grande production américaine dirigée par Steven Spielberg est diffusée sur plus de 400 écrans en France. La Seconde Guerre mondiale (commémoration de l’année 1940 en 2010 et la guerre d’Algérie : commémoration des 50 ans d’indépendance) ont en partie relayé la Première depuis 3 ou 4 ans ?
La célébration du centenaire va-t-elle modifier à nouveau ce processus ? …


4. Un rapport intime, généalogique à la guerre pour certains :

Pour Christian Carion ou Jean-Pierre Jeunet, la Grande Guerre est une partie de leur histoire. Leur film témoigne d’un rapport très personnel, voire intime à la guerre.
Ce n’est bien entendu pas le cas de tous les cinéastes liés à la Grande Guerre. Pour Serge Bozon, la guerre est ainsi un prétexte pour mélanger les registres. C’est aussi le cas d’Yves Angelo.

Conclusion : on peut voir en analysant les représentations de la guerre à plusieurs décennies d'intervalle, que ces représentations nous en disent peut-être plus sur les sociétés qui les ont vues naître que sur la guerre elle-même. Aujourd'hui, faisant partie de ce qu'on peut appeler la Public History, elle alimente l'intérêt des chercheurs, qu'elles interpellent et questionnent.