Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Napoléon d'Abel Gance (1927). Courte présentation pour la projection au Ciné Lumière

 Abel Gance : Napoléon1927 






Avec Abel Gance, tous les projets prennent une allure d’épopée, de démesure. Napoléon est paroxystique ! Au départ, en 1921, ce n’est pas un film qu’Abel Gance voulait consacrer à Napoléon, mais 6. 
Mais Abel Gance ne mènera pas à bien son projet fou.
Pendant 50 ans pourtant, Gance ne cessera de reprendre son film : un film sonore du même nom en 1935, Austerlitz tourné en Yougoslavie en 1960 et une version avec une narration en voix off (Bonaparte et la Révolution, 1971) où le message est cette fois en faveur de la politique gaullienne. 

Ce premier Napoléon c’est plus de 80 ouvrages consultés pour préparer le scénario, plus d’un an et demi pour le tournage en 1925-26 (avec une interruption après le retrait des premiers producteurs), 450.000 mètres de pellicule, un an de montage ! 

C’est évidemment Naissance d’une nation de Griffith qui a inspiré le réalisateur français après la guerre. Venu présenter J’accuse à New-York il s’était entretenu avec l’Américain. Et, en cette année du centenaire de la mort de Bonaparte, c’était naturellement à Napoléon que le Français voulut consacrer une grande fresque. 

Mais Gance va techniquement plus loin que Griffith en imaginant, avant le CinemaScope et autre Cinerama, trois caméras projetant sur trois écrans une image surdimensionnée qui permet accumulations, superpositions, inversions et croisements des points de vue, visions subjectives… 
Pour Gance, les caméras doivent marcher avec l’homme, courir avec le cheval, culbuter, monter, descendre, glisser… Autant de demandes exigeant innovations et prouesses techniques des opérateurs : travellings à reculons sur une plate-forme qui descend des escaliers, caméra pendule suspendue au dessus des révolutionnaires durant la séance de la Convention, image tremblante pour mieux souligner l’immense colère de Bonaparte (scène de l’aiglon)…

A la dimension épique du film que souligne la technique de la Polyvision, répond une incontournable dimension patriotique. Gance approfondit le message de son J’accuse de 1919, dans lequel on voit trop souvent un immense pacifisme, en fait beaucoup plus présent dans la version de 1938. 

Pour écrire son Napoléon, Abel Gance s’est aidé des travaux de son ami et critique Elie Faure et surtout des conférences du Britannique Thomas Carlyle, réunies sous le titre : « Les Héros et le culte des héros ». C’est donc une vision providentielle et mythique qu’il nous présente. 

Pour lui « Napoléon, c’est le conflit perpétuel entre le grand révolutionnaire qui voulait la Révolution dans la paix, et faisait la guerre dans l’espoir fallacieux d’établir une paix définitive ». 

Gance s’identifie aussi à Bonaparte, il lui prête « sa propre fougue et ses idéaux politique ». Gance, c’est  le « Napoléon de l’art cinématographique, déterminé à conquérir de nouveaux territoires esthétiques » (Jean-Luc Douin). Pour lui le public doit pouvoir s’identifier avec les acteurs sur l’écran, souffrir avec eux, se battre avec eux… Il s’agit d’impressionner, ou plutôt de surimpressionner. 

Pour convaincre le réalisateur de le choisir l’acteur et écrivain (Boudu sauvé des eaux) René Fauchois, s’habille en Bonaparte et fait irruption la nuit dans le château où Gance travaille sur le projet. Mais si l’acteur principal est fondamental, ce sont les foules qui intéressent le réalisateur. Il recrute des figurants chez Renault à qui il fait ainsi chanter 12 fois La Marseillaise pour la séquence (imaginée) de rencontre entre Bonaparte et Rouget de Lisle. 

Napoléon sort en avril 1927 à l’Opéra de Paris, dans une version de 3h15 avec triptyque, et un mois plus tard dans une version plus longue, sans triptyque (il est alors projeté d’abord en partie en matinée, puis en soirée). Le film est un immense succès commercial mais il reçoit un accueil souvent violent. Des contemporains de gauche voit dans ce culte du chef des relents de fascisme, et dans son Napoléon des airs de « Duce » (« Bonaparte pour apprentis fascistes » selon Moussinac). Les communistes en particulier (Léon Moussinac) réfutent cette vision (inspirée de Carlyle) d’un homme providentiel rétablissant l’ordre face au chaos et à l’impuissance révolutionnaire, même si, pour Gance, la Révolution française est le creuset de la « naissance d’une Nation » juste et égalitaire.

Comme l’entendait son auteur initialement, Napoléon aurait dû permettre à Gance d’oeuvrer librement. Mais il va perdre le contrôle du film racheté par une compagnie américaine. Et les années de crise (économique et politique) qui suivent ne seront pas à la hauteur des espoirs du réalisateur. 

La version initiale est ici restaurée grâce à l’historien Kevin Bronlow, lui même investi dans un projet de plusieurs décennies. 

@Rachel Mazuy

Pour aller plus loin  (Médiathèque de l’IFRU) : 
King Norman, Abel Gance, a politics of spectacle, BFI, 1984
Abel Gance, Napoléon, Faber and Faber, 1990
Nelly Kaplan, Napoléon, BFI, 1994
Phil Powrie, The cinema of France, Wallflower, 2006

Rémi Fournier Lanzoni, French Cinema. From its beginings to the Present. Bloomsbury academy, 2004.