Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Cours introductif (I et II parties)



Du concept de culture…

           1. Le concept de Culture, une notion polysémique que l’Historien du Culturel emprunte à la sociologie et à l’anthropologie :

Pascal Ory, La culture comme aventure, Ed. Complexe, 2008.
Voir également sur Canal U, le cours de Pascal Ory :  "Qu'est-ce que l'histoire culturelle? "
http://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/qu_est_ce_que_l_histoire_culturelle.963
Pascal Ory, L'invention du bronzage, Ed. Complexe, 2008.

Trois familles se disputent le terme de culture 
La première récuse au fond le mot culture au profit de concepts alternatifs « l’esprit, l’intelligence, la liberté, la politique.

La seconde utilise le mot de manière très étroite. « Culture du cultivé  » qui est essentiellement un accumulation des savoirs. 
La Scala de Milan (intérieur).
La troisième famille pense ce concept comme une concept qu’on peut historiciser. 
Définition : L’ensemble des représentations collectives propres à une société ou à un groupe.

Au sens anthropologique (qu’utilise l’histoire culturelle), la culture est donc un ensemble de pratiques associées à des représentations spécifiques. 
Exemple des pratiques culinaires médiévales.

À l'exception du lait humain pour les nourrissons, le lait n'est pas recommandé par les médecins qui lui reprochent son excessive humidité. Les laitages ne peuvent théoriquement se consommer que les jours gras de l'année, c'est-à-dire ni en carême, ni le vendredi ou le samedi. (@BNF.fr)

Dans les sociétés occidentales, les acceptations plus précises du mot désignent des types de pratiques culturelles ou des formes d’art inscrites dans l’histoire sociale et politique.

L’historien ne fait pas de distinction entre les différentes formes culturelles (théâtre classique /romans de gare; cinéma d'auteurs/ séries). 

A partir de là, apparaissent plusieurs formes de culture qui sont en interaction les unes par rapport aux autres.

2. Culture populaire et culture de masse :
A. Culture populaire : La notion au XIXe siècle désigne en fait la culture du monde paysan (apparition des folkloristes). 

Mais avec l’industrialisation et l’urbanisation la notion de culture populaire s’élargit au monde urbain où apparaissent de nouvelles formes culturelles (dont le cinématographe). Cf. Dominique Kalifa, La culture de masse en France 1860-1930, La Découverte, Repères, 2008.
 Café Concert, 17 mars 1867 (@gallica.bnf.fr)
B. La culture de masse :
1. La culture populaire se confond-elle avec la culture de masse ?

Cette notion apparaît entre les années trente et cinquante autour des penseurs de l’Ecole de Francfort (Theodor Adorno, Max Horkheimer, Walter Benjamin) qui se penchent sur l’apparition de la culture de masse en développant la notion « d’industrie culturelle ».

Elle pose évidemment la question de définir ce que sont « les masses » : s’agit-il de l’ensemble de la société ou des seules classes populaires ? 

Au départ, la perspective de ces chercheurs est critique (c'est lié à l'essor des totalitarismes et à leur volonté d'endoctrinement -création d'hommes nouveaux).
Train de propagande en URSS, 1923 (www.masterandmargarita.eu)
http://www.youtube.com/watch?v=RAyKd8YEfjg  (@Moskinoglaz). 
Alexandre Medvekine raconte comme il filmait dans un train de propagande le premier plan quinquennal (en 1930). 

Plus tard, dans les années cinquante, c’est l’expansion de l’industrie culturelle américaine qui permet d’expliquer le maintien de cette perspective.

En effet, cette perspective reste aujourd'hui encore présente dans l’opinion.

2. La culture de masse apparaît plus tôt qu’on ne le pense. :
Jusqu’à une période récente, on ne croyait pas à l’apparition d’une culture de masse avant la fin de la Première Guerre mondiale.
Affiche publicitaire liée à l'exposition universelle de 1889 (Tour Eiffel en arrière-plan). 
Les travaux récents d’histoire culturelle ont prouvé le contraire. Du fait de l’accélération des migrations, de l’industrialisation, de l’urbanisation, le XIXe siècle est bien marqué par l’apparition de nouveaux produits culturels destinés à toucher un large public, tandis que le secteur de la production et de la diffusion s’industrialise (livres, expositions universelles...). 

3. Depuis les années quarante :
Depuis les années quarante, la notion de culture de masse est définitivement associée à l’industrialisation de la culture, et en particulier à celle des Etats-Unis où les biens culturels sont le plus souvent destinés à une consommation de masse standardisée et prenant appui sur la publicité.
Studios Harry Potter (@www.wbstudiotour.co.uk)
Cette production culturelle peut notamment être opposée à une production et des pratiques culturelles qui touchent un nombre plus restreint de personnes appartenant cependant à des groupes dits dominants (notion empruntée à la sociologie). 


3. Les autres formes du mot culture :
A.   Culture bourgeoise et culture ouvrière :
Dans la première partie du XXe siècle, les partis ouvriers, les syndicats, et certains artistes liés au mouvement ouvrier développe l’idée d’une culture ouvrière qui serait propre à la classe ouvrière, son imaginaire, ses besoins, ses intérêts (cultural studies; gender studies etc.). 
Un cameraman de Ciné-Liberté : "Le Grand Prix Cycliste de l'Humanité" - Réal : Anonyme - 1936, N/B, sonore, 10min (photogramme). (@cinéarchives.org). 
Pendant toute la première moitié du XXe siècle, militants politiques liés au mouvement ouvrier vont parler d’une « culture bourgeoise » pour désigner la culture de la bourgeoisie (considérée comme une entité unique, une classe sociale homogène, au sens marxiste du terme). La culture bourgeoise, celle de l’élite socio-économique s’opposerait à la culture ouvrière qu’elle dominerait (rapports d’exploitation économique et de domination politique et culturelle).

B.    Culture légitime, culture dominante et culture savante :
1. La culture légitime :

La culture légitime regroupe les pratiques culturelles reconnues comme légitimes (la Culture avec un C.) par l’élite socio-culturelle dominante (notion de capital culturel empruntée à la sociologie - Pierre Bourdieu).

2. Culture dominante :
Cette culture légitime est dite dominante si on se place du point de vue des rapports sociaux.

Bourdieu ajoute ainsi aux notions de domination économique et politique des marxistes (l’exploitation capitaliste), la notion de domination symbolique. Selon lui l’élite socio-culturelle produit une hiérarchisation sociale des pratiques culturelles. La maîtrise de ces pratiques culturelles et le produit d’un habitus et un signe d’appartenance sociale.

3. Et la culture savante ?
C’est celle des universitaires, des chercheurs, ou celle des critiques (de théâtre, de cinéma). Elle s’oppose à celle des amateurs (sociétés historiques locales par exemple) ou à la culture de masse.

C). Peut-on encore parler de culture nationale ?

2. L'idée de culture nationale :

L'idée de culture nationale s'inscrit dans l'histoire de la construction des Etats-nations du XIXe siècle. 


L'AFFIRMATION DE LA LANGUE TCHÈQUE AUX DÉPENS DE L'ALLEMAND

Jean Gebauer, né en 1838 dans un village de Bohême, professeur de linguistique à l'université de Prague, raconte son enfance. Son père était un paysan allemand.

"Elle [la mère de l'auteur] ne connaissait pas un mot d'allemand et mon père et ma grand-mère lui parlaient en tchèque, tandis qu'entre eux ils parlaient allemand ; et il en était ainsi lorsque je suis arrivé, moi, dans la famille, et trois ans plus tard, ma sœur.
Quand, en 1854, ma grand-mère mourut, mon père n'eut à la maison personne avec qui parler allemand, et la langue tchèque domina complètement dans notre foyer. Ma sœur et moi sommes nés dans un foyer bilingue et nous avons appris aussi l'allemand ; mais, pour nos frères et sœurs plus jeunes, ce ne fut pas le cas. En un mot : dans notre maison, l'allemand dominait ; avec l'arrivée de ma mère et l'accroissement de la famille, augmenta la domination du tchèque. Avec la mort de ma grand-mère, se termina la langue allemande.
Cela se passa souvent dans d'autres familles, selon mes souvenirs. Dans un foyer allemand entra une épouse tchèque, les enfants devinrent tchèques ; les membres allemands du foyer, restes de la période allemande, moururent ou partirent ; le père allemand n'avait plus à qui parler et dans le foyer régna seul le tchèque."


Cité par B. Michel, Nations et nationalismes en Europe centrale, XIX-XXe siècle, Aubier 1995. (in Site Cliotexte : Les nations et les nationalismes de 1850 à 1914).

Mais la Première Guerre mondiale puis la Seconde vont discréditer l'idée d'un caractère national (sauf dans les droites extrêmes), des historiens ont élaboré la notion de "lieu de mémoire". 

Cette "culture nationale" s'oppose à ce qui est "international" ou supposé comme tel. 

1. Une mondialisation culturelle 
Après guerre, en France par exemple, une "américanisation des esprits" est dénoncée (Accords Blum/Byrnes, propagande soviétique). 

Cf. le site Cinéarchives (cinearchives.org) : Défense du cinéma français, 1947-1950, documentaire (cf. 8'30'' défense su cinéma français contre les accords Blum-Byrnes). 

Ce n'est pas cependant pas nouveau (montée en puissance du cinéma américain pendant la Première Guerre mondiale). 
Dans les années vingt, Edouard Herriot s'indigne : "Est-il anodin que Jeanne d’Arc s’incarne désormais sous les traits d’une Californienne et Napoléon sous ceux d’un acteur de l’Illinois ? N’y a-t-il pas là une forme insidieuse de vampirisation de l’imaginaire patrimonial ?". 

La culture nationale s'inscrit ainsi le plus souvent en opposition par rapport à d'autres formes de cultures (communistes et Coca-Cola dans les années 50). 
Affiche de propagande communiste datant de 1952. La pieuvre américaine et ses tentacules en forme de dollars témoignent du climat de violence.
Cf. Le site cinéarchives : http://www.cinearchives.org/ (Les Américains en Amérique, documentaire de 1950).

Dans les années 1990-2000 on parle "d'impérialisme culturel" américain qui mettrait en péril les cultures nationales. 
La "culture nationale" s'inscrit ainsi dans un rapport de domination des Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde. 
Culture mondialisée + ou - = culture de masse.

Cette peur d'une domination culturelle est cependant critiquée (cultural studies/ Bollywood). 

Ashutosh Gowariker, 

Lagaan, Il était une fois en Inde, 2001 (@IMDb).