Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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J'accuse ! d'Abel Gance (1919)

J'accuse ! d'Abel Gance (1919)



Le film qui sera présenté dans sa version rénovée le 26 octobre 2014 à l'Institut français du Royaume-Uni lors d'un Ciné-concert accompagné par Karol Beffa, apparaît comme une des œuvres majeures du cinéaste français Abel Gance (1889-1981). Rapidement devenu un mythe, avec le Napoléon de 1927, il fait partie du panthéon du cinéma français muet.

            Il faut cependant savoir qu’il y a eu deux J’accuse. Le premier, dont l’idée naît dès 1916, sort sur les écrans en avril 1919, l’année de la victoire. Le second film, qui évoque le héros vingt ans après, est tourné en 1937 et sort en 1938 dans un contexte radicalement différent.
            Présenté comme un réquisitoire contre la guerre, le J’accuse de 19 est un hommage aux soldats, un témoignage de reconnaissance envers les souffrances endurées pendant 5 ans. Gance, qui n’a pas 25 ans au début de la guerre, n’a pas combattu (il a rejoint très peu de temps le service photographique aux armées en 1915). En résonnance avec l’intense processus de commémoration patriotique de 1919, le film est donc «un monument cinématographique érigé à la mémoire de ceux qui sont morts pour nous. » (Affiche publicitaire). Mais ce n’est pas complètement un film pacifiste, au sens où aucune guerre ne trouverait de justification possible, quelle qu'elle soit, même si Abel Gance le présente comme un réquisitoire contre la guerre, et qu'il va être ainsi perçu par ses contemporains. 

            Pour mieux comprendre l’esprit du J’accuse de 1919, il faut aujourd’hui le comparer à celui de 1938. On peut ainsi mettre en parallèle les deux scènes finales de la résurrection des morts dont la signification est radicalement différente (cf. le cours sur La Grande Guerre au cinéma pour les extraits) : En 1918, les soldats français « se réveillent » et vérifient que leur sacrifice n’a pas été vain (on va ériger pour eux des monuments aux morts). 20 ans plus tard, les morts (certains sont d’ailleurs allemands !) vont sortir de leur tombe pour effrayer les vivants, pour tenter d’empêcher une nouvelle guerre. Pour cela, Gance utilise des « gueules cassées »  qui sont là pour prouver la monstruosité et l’absence de sens de toute forme de guerre. Avec un quadruple procédé de surimpression, sa marche de plus de 50 « gueules cassées » impressionne aujourd’hui encore.


J'accuse, bande annonce pour la diffusion Salle Pleyel le 8/11/2014 (@Lobster films). 

            Mais revenons, au premier J’Accuse et à ses origines, celles de la parution en feuilleton du texte d’Henri Barbusse, Le Feu, journal d’une escouade, dont la représentation actuelle doit beaucoup à son Goncourt obtenu en 1917 et à l'engagement ultérieur de l'écrivain aux côtés des communistes. Gance veut réaliser une grande œuvre humanitaire. Il va aussi se servir de l’expérience de Blaise Cendrars, son assistant, qui a perdu un bras (Cf. La Main coupée).
            Cependant, de nombreux passages du film témoignent d’un système de représentations patriotiques. Ainsi les références au chef gaulois résistant à l’invasion étrangère est-il ouvertement cocardier (Gance évoquera ensuite la pression de la censure de guerre).
            En fait, on retrouve même chez lui l’idée largement partagée en France d’une guerre défensive pour sauver la « civilisation française » menacée par la « barbarie allemande ». Une scène du scénario (dont on ne sait pas si elle a été tournée) met en accusation l’Allemagne sous les traits d’un Hussard présenté devant un jugement (qui semble divin), à qui on reproche la destruction de la cathédrale de Reims, le morts civils du Lusitania, les bombardements de villes, les violations des conventions internationales et… « les mains coupées des petites filles belges ».

Quant à la scène finale déjà évoquée, si elle s’oppose bien à l’annonce enthousiaste de la mobilisation du début du film, elle témoigne surtout (selon l’historien Laurent Véray) du sentiment de culpabilité ressenti par ceux qui n’ont pas combattu tout en ayant perçu l’horreur du conflit. Albert Gance mélange ainsi des valeurs nationales (le sacrifice pour défendre la patrie dont il faut se souvenir à jamais) et chrétiennes (les Villageois s’agenouillant pour prier).

Ce texte est fondé avant tout sur l’ouvrage de Laurent Véray, La Grande Guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire, Ramsay cinéma, 2008.

Parmi les ouvrages disponibles à la médiathèque de l'IFRU à Londres :
- Laurent Véray, Abel Gance, nouveaux regards, CNC, 2000 (791.437 GAN).
- King Norman, Abel Gance, a politics of spectacle, British Film Institute, 1984. (791.437 GAN).
- Jeanne René, Abel Gance, Seghers, 1963 (791.437 GAN).
- Henri Barbusse, Le Feu, Journal d’une escouade, Gallimard, 1916. (in François Rivière, Les Grands Romans de la Guerre 14-18, Coll. Omnibus, 1994 (944.081 4 GUE).
- Blaise Cendrars, La Main coupée, Gallimard, 1946 (écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, IFRU : Edition Folio 
2008 (LA/CEN). 

En ligne : 
- Un passionnant article de Laurent Véray dans la revue 1895 (Laurent Véray, « Abel Gance, cinéaste à l’œuvre cicatricielle », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 31 | 2000, mis en ligne le 06 mars 2006, consulté le 15 octobre 2014.)
http://1895.revues.org/54
- U n court article intéressant du ciné club de Caen (sur la production et la réception à sa sortie) : 
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/gance/jaccuse.htm
- Un article stimulant du très bon site critikat : 
http://www.critikat.com/panorama/analyse/j-accuse.html

- Un dossier du CNDP sur les deux J'accuse, qui parle davantage de celui de 1938, sans faire vraiment la différence entre les deux versions. 
http://www.cndp.fr/pour-memoire/larmistice-du-11-novembre-1918/la-grande-guerre-sur-les-ecrans-de-cinema/jaccuse-dabel-gance/


@rachelmazuy