Ce blog était au départ destiné aux étudiants du séminaire "Cinéma et cultures" de Master 1 (Médiation culturelle) de l'Université Paris III.
Il s'agit de résumés des cours séminaires donnés entre 2012 et 2014 à l'Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Depuis octobre 2014, j'ai ajouté quelques notes sur des films projetés à l'Institut français du Royaume-Uni à Londres.
Bon parcours !
Rachel Mazuy

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Le cinéma français des premiers temps. Production, diffusion et réception.


Problématique : A l’origine du cinéma : les progrès techniques, les progrès liés aux loisirs, les progrès de l’alphabétisation, l’urbanisation (le cinéma apparaît en ville).
Dans quelle mesure assiste-t'on à la naissance d'une nouvelle forme de culture de masse et comment évolue-t-elle ?

 I. La création d’un spectacle de masse :
A. Le cinématographe des frères Lumière : 
1. Une ascension sociale reflet de l'industrialisation : 
- La photographie, une révolution du XIXe siècle (idée que le cinéma vient de la photographie, et est une révolution secondaire de ce fait). 
- Découvreurs et industriels : l'aventure industrielle d'une famille aux origines modestes. 
2. L'origine du cinématographe : 
- aller plus loin qu'Edison. 
- Un peu de magie industrielle : les histoires de la naissance du cinématographe. 
- La première séance du cinématographe à Paris
3. Filmer le siècle partout dans le monde :
- Les opérateurs Lumière : metteurs en scène et documentaristes, projectionnistes et techniciens. 
- La magie du cinéma partout dans le monde.
- Quel est le public des films Lumière ? 

B. Georges Méliès fait naître un spectacle populaire à partir de 1896
Méliès  est un professionnel du spectacle (théâtre Robert Houdin), qui se lance dès l’été 1896 dans la production de films (Star Film et premier studio).
L’Homme à la tête en cahoutchouc, 1901 (pour approfondir voir aussi  http://melies.dessin.bifi.fr/). 

Le cinéma de Georges Méliès est caractéristique du cinéma des premiers temps : films documentaires, puis films historiques reconstitués en studio et enfin des  films fantaisistes qui feront son succès – Le voyage sur la lune en 1903. 
Plans filmés frontalement, découpés en tableaux et décors colorisés à la main sont également spécifiques.
Avec lui, le cinéma s’inspire encore nettement de formes d’art plus anciennes (magie, théâtre - science-fiction).
Cependant, Méliès n’arrivera pas à varier sa production et à produire suffisamment  : la Star film cesse ses activités en 1912 (rachat par Pathé frères).
C. La Révolution Pathé : le cinéma devient véritablement une industrie culturelle (1908-1913:
Ferdinand Zecca et Charles Pathé
Avec Charles Pathé, le cinéma, n’est pas encore un art, mais il devient une industrie véritable. Pathé va associer création, production et diffusion en contrôlant toute la filière. 
 
Dès 1896, il crée la société Pathé-Frères. En 1901, il passe du stade de l’atelier de production à celui de l’usine. Il a très vite trois studios (1904) qui produisent dix films par semaine. Il internationalise aussi très  rapidement sa diffusion. 
Entre 1906 et 1908, ils fondent notamment son succès sur des films comiques de poursuite qui sortent le cinéma des studios (tournés dans Paris)
Une autre société, celle de Léon Gaumont,  apparue elle aussi en 1896, prend une place de plus en plus importante sur ce marché français (Alice Guy).
Leurs films reprennent la même thématique que ceux de Méliès : documentaires, reconstitutions historiques,  scènes bibliques,  films comiques (poursuites en tout genre) sont très appréciés. Après 1908, on revient à du théâtre filmé et on adapte aussi des romans. 
On trouve aussi des scènes grivoises ainsi que des « scènes dramatiques et réalistes ». Au final presque tout est tourné en studios. 

II. Un spectacle de masse qui a du mal à être reconnu comme un art :
A. Le cinéma s’apparente à une pratique culturelle qui touche un public surtout populaire jusque dans les années vingt :
1. Les premières années  (1896-1907) :
- Les toutes premières années (1896-1899) :
La diffusion du cinématographe Lumière ou de ses concurrents est rapide dans les grandes villes françaises.
Les premières projections ont lieu dans des théâtres, des salles des fêtes, des Hôtels de ville ou d’arrière-salles de cafés, voire des cirques, des patinoires ou même des églises ! Le cinéma s’installe dans des lieux où le public à l’habitude de voir des spectacles culturels. Il n’y a pas au départ de salles conçues seulement pour le cinéma. Dans les petites villes, c'est tout simplement parce qu'elles ne sont pas électrifiées. (Loudun 1926). Le projectionniste vient avec son matériel de projection, mais aussi son générateur de courant. 
Ce cinéma ambulant se diffuse donc aussi rapidement dans des spectacles de foires. Les forains achètent de la pellicule au mètre et proposent un spectacle moins cher que dans les salles de café-concert où on le retrouve également.
En 1897, l'incendie du Bazar de la Charité détourne les classes "bourgeoises" de cette attraction considérée comme dangereuse. Elle est donc pour quelques années "réservée" aux classes populaires. 
Affiche publicitaire pour une soirée de projection à Loudun (Vienne) (in http://jcraymond.free.fr/Histoire/Lieux/L/Loudun/Loisirs/Cinema/CineHistoire.php)
Des projections lumineuses scientifiques sont aussi  organisées dans les écoles… 
Vers 1900, des projections gratuites en plein air commencent à apparaître l’été aux terrasses des cafés.
Dans les grandes villes, les séances s'intercalent avec d'autres spectacles. 
Le cinéma se démocratise donc rapidement, mais reste au départ perçu comme une attraction populaire (très vite la plus importante), plus que comme un art.

- Le cinéma itinérant domine (1900-1907)
Au tout début du XXe siècle, les spectacles sont hébergés dans des espaces mobiles (théâtres portatifs parfois luxueux).
Le public est donc un public populaire, surtout urbain qui consomme des films un jour de promenade ou de foire. Le même public qu’on retrouve dans les films comiques du muet.
Dans les cafés-concerts, il s’agit le plus souvent d’un spectacle de complément (il y a d’autres attractions : magie, concert, numéros de danse etc.).  Les films ne sont pas toujours "sonorisés" (présence ou non d'un orchestre). Le "présentateur" (qui peut être l'opérateur) joue alors un rôle important (on le reverra plus en détail pour le Québec).
Les forains ou les exploitants partent aussi en tournée dans les communes rurales ou de petites villes pour élargir leur clientèle. 
- La révolution Pathé en août 1907 :
 En obligeant à louer les films pour une durée limitée, Pathé va précipiter le déclin des spectacles itinérants, d’autant plus que certains des exploitants de salles de spectacles classiques (salles de théâtre, de music-hall) s’orientent vers le cinéma. 
Ils sonorisent alors leurs spectacles pour continuer d’attirer du public. Les films sont loués aux exploitants par l’intermédiaire de sociétés concessionnaires. Se met alors en place un système toujours en vigueur qui lie production, distribution et exploitation.
Dans les années dix, une partie des salles de spectacle se spécialisent en devenant uniquement des salles de cinéma ou de théâtre. En 1911, Gaumont ouvre le Gaumont-Palace place de Clichy (3400 places au départ - ancien hippodrome). A Loudun par exemple, la première salle de cinéma apparaît en 1919 (dans le jardin voisin, une machine à vapeur produit l'électricté nécessaire aux projections). 
Omnia Pathé (ouvert en 1906, c'est aujourd'hui le Cinéma du Panthéon qui appartient aux productions Why Not). @Parisienne de Photographie 
- L'exemple du Gaumont Gobelins-Rodin: 
Façade du Théâtre des Gobelins (Fondation Jérôme Seydoux). @wikipedia
Ouvert en 1869 ce bâtiment situé au 73 de l'avenue des Gobelins (actuellement) a d'abord été un théâtre, puis un théâtre de variétés avec des projections cinématographiques (1906) puis un cinéma (1934-2003). 
Affiche d'un spectacle du théâtre des Gobelins (1890) @BnF. 
Il est actuellement en rénovation pour abriter la Fondation Jérôme Seydoux qui sera ouverte aux chercheurs et étudiants en cinéma. La façade est d'Auguste Rodin (elle est donc classée ce qui lui a évité d'être détruite). 

B.  En dépit de la tentative du Film sur l’art, le cinéma touche encore surtout les couches populaires avant 1914 :
1. Une production française de masse : Alors que la production mondiale est encore dominée par le marché français, Gaumont et Pathé continuent leur internationalisation (production de films à l’étranger), de nouvelles sociétés apparaissent comme Eclair.
Cette production est donc rapidement devenue une production de masse : plusieurs milliers de films par an (courts métrages pour la plupart)!

2. Films comiques et séries touchent surtout les couches populaires :
C’est l’âge d’or des films comiques (Max Linder), des mélodrames et des romans populaires dans des productions de plus en plus longues. Les succès populaires de l’immédiate avant-guerre consacrent aussi des séries policières (Louis Feuillade – Fantômas). 
Max Linder : Le Roman de Max (1912), Le pantalon décousu (1908)
3. Le Film d’Art pose de nouveaux jalons :
Affiche du film L'Assassinat du Duc de Guise, 1908.
Pour approfondir blog de Catherine Bertho-Lavenir (archives 2009-octobre) ainsi que le numéro spécial de la Revue 1895 sur le film d’art (Décembre 2008) ainsi que http://www.canalacademie.com/emissions/foc357.mp3 (sur la musique de Saint-Saens et sur le film). 
En 1908, l’homme d’affaires Louis Laffitte crée la Société du Film d’Art et installe ses studios à Neuilly (banlieue aisée !). Son projet est artistique et éducatif. Il prétend donc avec son film intégrer le champ de la culture légitime tout en restant accessible à un public populaire.  En introduisant des artistes et des auteurs dans la fabrication du film (Lavaudan, Saint-Saens), il pose aussi la question de l'auteur (auparavant des opérateurs, une secrétaire...). Le film est succès public et même si la critique est réservée, le fait qu’un journal comme Le Temps publie une critique est révélateur du changement. Pathé va d’ailleurs fonder une société concurrente (SGLA) qui s’invite sur le même créneau. Des jalons sont donc posés pour reconnaître le cinéma comme un art tout en permettant à son public de s’élargir. Mais c'est une tentative de faible durée. Aussi, encore dans les années vingt, voire les années trente, les "hommes de culture" sont le plus souvent très critiques vis-à-vis du cinéma (médiocrité...)). 

C. Les cinémas dans les années vingt :
1. La Fréquentation et le nombre de  salles augmentent :
La fréquentation va continuer d’augmenter, ainsi que le nombre de salles. Les films sont plus longs, plus ambitieux et attirent donc un public toujours plus nombreux. A Paris, en 1925, il y a déjà 9 salles de plus de 2000 place. Le Gaumont-Palace en comptera 6000 en 1931 !
Gaumont-Palace en 1911 (@ Collection Viollet Leduc - http://fgimello.free.fr/enseignements/metz/histoire_du_cinema/COURS_histoire_cinema.htm)

Ils sont déjà organisés en réseaux de diffusion, même si de nombreuses salles indépendantes persistent.

2. De véritables cinémas :  Si les premiers cinémas étaient souvent installés dans des théâtres, des music-halls, ou même des hippodromes (le Gaumont-Palace de la Place de Clichy), après 1905 de véritables salles répondant à des contraintes et des besoins spécifiques sont apparues. Après 1910, beaucoup de ces salles sont conçues comme de véritables palais (Louxor). 
Le Louxor inauguré en 1921 (photographie de 1922 @Lesamisdulouxor.fr). 




A. La remise en cause de la suprématie française sur le cinéma durant la Première Guerre mondiale :

1. La mobilisation pour la guerre bouleverse le paysage cinématographique :  La concurrence américaine ou italienne existe avant 1914.

Mais c’est bien la guerre qui précipite la chute de la production française. Les hommes, les studios, les usines sont réquisitionnés.. La production de guerre est donc faible (au départ des films patriotiques de propagande ou des reprises de séries comme Les Vampires de Louis Feuillade). Les productions américaines supplantent alors les françaises (Charlot remplace Max Linder).
Charlot Soldat (Shoulder Arms), 1918 (extrait). 

Par ailleurs, la guerre élargit encore les publics notamment le public masculin, à  qui  on montre des films lors du repos à l’arrière. 
2. Américanisation ?  :

Les années vingt ne permettent pas le retour à la situation d’avant-guerre :

Pathé se restructure, vendant une partie de ses filiales et se retire en 1930 après avoir vendu à Bernard Natan en 1929. Gaumont cesse ses activités de production en 1925. Des firmes disparaissent (Eclair).

Les films français ont du mal à accéder aux écrans (même si ceux-ci augmentent ils restent insuffisants). Des comités de défense se constituent…
On voit ainsi les revues de cinéma populaires (Ciné-Miroir) (les revues de cinéma avant la guerre étaient tournées vers les professionnels) qui vont défendre la production nationale (elles sont souvent proches de l'industrie du cinéma). En effet, les salles françaises diffusent alors énormément de films américains.
Parallèlement des revues de cinéma fondées sur la critiques des films vont apparaître, en particulier derrière Louis Delluc (La revue Le Film, 1917), dont l'un des objectifs est d'améliorer la production nationale française (début de la cinéphilie - le terme est français et remplace celui de cinémane). Ce mouvement participe ainsi également à la naissance du cinéma en tant qu'art.

B. Plusieurs écoles cinématographiques coexisteraient en France : 
1. L’avant-garde esthétique et le cinéma d’auteurs :
- Autour de Louis Delluc (naissance d’une véritable esthétique du cinéma). Delluc milite pour un véritable cinéma français et des scénarios originaux.. Autour de lui des cercles d’intellectuels (Germaine Dulac, Jean Epstein, Marcel Lherbier, Abel Gance) qui multiplient les innovations stylistiques et sont convaincus que le cinéma est un art.
- La minorité surréaliste et dadaïste : si leur cinéma reste très marginal (mécènat), il s’oppose à une vision purement esthétique du cinéma  (Le Chien andalou de Luis Bunel)
2. Le cinéma de divertissement populaire : c’est un cinéma qui tente de rivaliser avec les productions étrangères (séries de la Société des ciné-romans, films historiques).
3. Les anciens et les modernes :
- Une vision plus classique du cinéma porté par des auteurs qui veulent faire des films de qualité, sans pour autant innover d’un point de vue stylistique (Jacques de Baroncelli ou Léonce Perret par exemple).
- Une nouvelle génération apparaît celle des René Clair, Jean Duvivier, Jean Renoir, Jacques Feyder...

C. Une vision esthétique ancienne qu’il faut remettre en cause :
1. Une vision esthétique fondée sur l’exclusion du cinéma populaire : 
Plus encore que le film d'art ce sont les films américains qui vont provoquer un bouleversement dans la perception cinématographique. Avec Forfaiture, The Cheat (1915) qui arrive en 1916 en France, Cecil B DeMille fait courir tout Paris, tout en bouleversant l'esthétique cinématographique. 
Cecil B. DeMille, The Cheat, 1916 (extrait)
Dès les années vingt, une hiérarchie est érigée qui coupe le cinéma des autres formes de divertissement populaire et exclut des auteurs sous prétexte qu’ils ne font pas de l’art. Ces exclusions esthétiques aussi fondent l’idée de l’existence d’écoles spécifiquement françaises.

2. Des frontières et des itinéraires poreux : En fait, les cinéaste, les acteurs, les décorateurs, les producteurs passent d’un genre à l’autre (Russes de Montreuil notamment-Albatros), et la mobilité géographique est importante (ils tournent en Europe et aux Etats-Unis). Cf. François Albera, Albatros. Des Russes à Paris, 1919-1929, Mazzotta, 1998

Conclusion : devenu rapidement un spectacle de masse, le cinéma a plus de mal à se faire reconnaître en tant qu'art. Ses origines populaires (attraction de foire) éloignant pour longtemps les élites, dont certaines avaient pourtant participé à sa naissance.